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20 novembre 2020 5 20 /11 /novembre /2020 08:26

Loin des Cévennes et de la Camargue qui m’ont adopté et que j’ai adoptées, ce nouveau roman de Mathias Enard me replonge dans mes années d’enfance et d’adolescence dans les Deux –Sèvres. Des sons, des couleurs, des parfums me reviennent qui étaient enfouis profondément mais toujours là, intacts, si présents à quelque soixante-quinze années de distance.

De la Gâtine chouane et argileuse au nord, au sud calcaire et plus à gauche, les souvenirs affluent. Parthenay, Niort, Coulonges-sur-l’Autize, Secondigny si proche d’Amailloux ; Chamdeniers, Cherveux, ces villages dont nous écumions les bals sur parquets dansants le samedi soir ; Coulon, Maillezais …Comme autant de photos jaunies par le temps.

Je retrouve avec gourmandise ces mots du patois poetevin qui ont bercé mon enfance quand j’étais  petit draule à Amailloux. Pendant les vacances d’été, je partais dans la campagne ramasser des lâchés pour la pêche dans l’étang de la Sablière ; j’escaladais les châgnes têtards pour y dénicher de jeunes  tourtes que je disputais aux ageasses qui les attaquaient et je les  élevais en les nourrissant avec le blé que j’avais glané après les métives. Les jours de pluie, quand les grolles survolent les labours, souvente fois, je faisais la chasse aux lumas. Le soir, fatigué mais benaize, je m’endormais après avoir mangé  une cuisse de lèbe que mon père avait tué à la chasse, accompagnée de mogettes du jardin, avec au dessert un morceau de fouasse. Que Mathias Enard me pardonne, je n’ai pas résisté au plaisir d’ajouter quelques mots

Puis ce seront, les années de collège et d’école normale à Parthenay et Poitiers. Mes premiers postes d’instituteur à Faye-l’Abbesse et à Saint-Varent.

Mais asteure parlons du livre. Un ethnologue parisien en devenir  Dadid Mazon, qui n’a jamais mis les pieds à la campagne, a obtenu une bourse d’étude de  la France rurale. Il s’installe dans un village des Deux Sèvres entre Niort et le Marais poitevin où Mathide et Gary lui ont loué un appartement qu’il baptise La pensée sauvage. Il va tenir un journal où il notera jour après jour ses rencontres, ses interviews, ses impressions, ses découvertes, ses étonnements… Ses rêveries aussi, car  il s’imprègne de cette culture qu’il découvre et dans laquelle il s’immerge. Une culture qui oscille en permanence entre légendes populaires et réalité quotidienne. Les personnes rencontrées auront été tour à tour, au cours de plusieurs vies, des  personnages célèbres, des bandits de grands chemins, un animal de compagnie ou un oiseau…Le prêtre lui-même, le Père Fargeau sera réincarné en marcassin ; Jérémie Moreau « le sauvage du Marais » avait été précédemment le poète Théodore Agrippa d'Aubigné, né en Saintonge et qui possédait un château   tout proche. Lucie la maraîchère avait été une protestante victime des dragons de Louis XIV, révolutionnaire en 1789, poilu pendant la Première mondiale et paysanne à de nombreuses reprises. Une galerie de portraits truculents,  « l’enterreur en chef », Martial Pouvreau, le maire du village ; le gros Thomas, le  cafetier et les habitués du  Café-Pêche ; Max, un peintre sulfureux originaire de la région parisienne; Lynn la coiffeuse amoureuse de Max ;  Mathilde la catholique et son mari Gary ; le prêtre, le Père Fargeau tourmenté par la tentation du péché de chair…Et Lucie dont on reparlera. On survole ainsi les époques qui ont   laissé une trace dans cette région, du Moyen-Age à la Deuxième guerre mondiale ; de Richard Cœur de Lion aux des Guerres de Religion quand les Protestants s’emparèrent de Niort ; de Du Guesclin à la dernière décapitation en public en 1939, Place de la Brèche à Niort.

Sous le titre générique CHANSON, de courts textes rappellent des faits singuliers qui ont marqué les Deux-Sèvres. L’amour secret d’Antoine pour Rachel qui, victime d’une épouse jalouse, expirera dans ses bras. Le retour d’Aimery à La Rochelle après un long séjour en mer. La mort de l’aristocrate vendéen Foulques Valère de Coëx sous les balles des soldats  Républicains. Les deux jeunes enfants d’Esther assassinés par les troupes hitlériennes. Pierre, l’émigré protestant en Nouvelle-Angleterre, nostalgique de la France. La foule avide Place de la Brèche à Niort pour une décapitation.

 Une sarabande folle nous entraîne haletants à travers les âges dont les coutumes nous ont été léguées comme les sédiments de la mer toute proche accumulés en couches superposées, échoués sur le rivage. La plus marquante est celle du banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs. Nous sommes au pays de Rabelais dont l’une des œuvres majeures, Gargantua, a été écrite lors de son séjour à l’Abbaye  de Maillezais. Nuit gargantuesque, gloutonne et paillarde au cours de laquelle se succèdent un nombre gargantuesque de plats, des viandes rôties que « des mécheurs émèchés méchaient en sifflant leur sécheresse de soif », des « huîtres au parmesan au champagne en gratin », des cuisses de guernouilles, des poissons pêchés dans les marais, carpes, sandres, anguilles, lamproies, brochets, le tout arrosé de nectars divins, Chenin minéral, Gamay de Touraine, Chinon bien rouge, Crozes, Saint-Joseph, Côtes-rôties,  Meursault, Vouvray et …grenache et carignan du Languedoc ; ponctué de discours savants, poétiques ou coquins,  prononcés par Martial Pouvreau, le président de la Confrérie des fossoyeux ; le grand-maître Sèchepine ; le trésorier Grosmollard  ; le chambellan Bittebière,  avant que les quatre-vingt-dix-neuf convives épuisés ne s’écroulent sous les tables dans l’attente de la soupe à l’oignon du matin qui leur redonnera vigueur.

Les gourmets et les cuisiniers y découvriront des recettes de plats succulents dans la plus pure tradition poetevine, comme la soupe aux lumas.

Ce roman foisonnant se termine comme il a commencé par le journal intime du jeune ethnologue. David Mazon a non seulement adopté les Deux-Sèvres, il est « tombé » amoureux de Lucie la maraîchère. Cela n’avait pas été d’emblée évident.  « La garce. Cette Lucie est détestable. », mais il va découvrir une fille sensible qui a recueilli son grand-père sénile   et son cousin Arnaud attardé mental mais doté d’une mémoire prodigieuse. Une militante très engagée pour la défense de la nature. Il va abandonner Paris et Lara son premier amour, mettre en sommeil  l’ethnologie et se convertir au maraîchage bio. Cela nous donne des pages d’une grande douceur, pétries d’humanité.

J’avais aimé Boussole*, Prix Goncourt en 2015. J’ai adoré Le banquet…*

Bernard DESCHAMPS

18 novembre 2020

 

  • Sur mon blog/ www.bernard-deschamps.net, 4 janvier 2016, J'AI LU LE PRIX GONCOURT 2015
  • LE BANQUET ANNUEL DES FOSSOYEURS, Mathias Enard, Actes Sud, Octobre 2020
J’AI LU « LE BANQUET ANNUEL DE LA CONFRERIE DES FOSSOYEURS »
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commentaires

J
Super merci, passez me voir. https://jouet-matheo.blogspot.com/
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