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31 octobre 2020 6 31 /10 /octobre /2020 10:39

En sept chapitres denses, et une introduction consacrée à la pandémie du coronavirus,  Jacques Fath nous dresse le tableau du monde dangereux dans lequel nous vivons aujourd’hui. Faut-il pour autant se penser en guerre ? Il dénonce « l’imagination frénétique au service de la course aux armements »(P.261) et les pressions  pour un  « réarmement des esprits » afin de nous la faire accepter.

Cet ouvrage * très documenté, aborde sous différents angles les situations auxquelles nous sommes confrontés et les questions idéologiques qu’elles nous posent.

Un nouvel ordre international

En 1942, après le désastre de Pearl Harbour, Franklin D. Roosevelt (USA) et W. L. Mackenzie (Canada) pensent qu’il sera indispensable après la guerre qui vient d’éclater, de « Construire un nouvel ordre international de liberté, d’autodétermination, un ordre de commerce et d’économie ouverte sous hégémonie américaine, un monde de droit avec une structure politique internationale appelée Nations Unies» (P.76).

Le 26 juin 1945 est créée l’Organisation des Nations Unies qui se dote d’une Charte avec pour objectif de maintenir la paix dans le Monde après les deux guerres mondiales qui ont ravagé l’humanité au cours du XXe siècle.

Dans son prolongement, plusieurs accords internationaux d’une grande portée seront adoptés, notamment :

-          Le Traité de Non-prolifération  des armes nucléaires en 1968.

-          Le Traité ABM sur les missiles antibalistiques en 1972.

-          L’Acte final de la Conférence d’Helsinki, signé le 1er août 1975 par l’URSS, les USA, le Canada et les pays d’Europe sauf l’Albanie, qui donnera naissance à la Conférence, puis à l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) en 1994.

-          Le Traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) en 1987.

-          L’Accord de Vienne en juin 2015 (Russie, Etats-Unis, France) contre l’accession de l’Iran à l’arme nucléaire.

-          Le Traité d’interdiction des armes nucléaires en 2017.

En vertu de ces traités, neuf pays: les USA, la Russie,  la Corée du Nord, la France, l’Inde, Israël et le Pakistan disposent aujourd’hui de 13 400 armes nucléaires, alors que les USA et l’URSS en possédaient à eux seuls 65 000 en 1980.

Cet ordre international – sous hégémonie états-unienne – ouvertement néolibéral au plan économique, est aujourd’hui en crise. Il se heurte à l’aspiration croissante des peuples à plus de justice sociale dans un monde où les rapports de forces ont changé avec la fin de l’Union Soviétique, puis le renouveau de la puissance russe et l’émergence de nouvelles puissances comme la Chine.

Les USA procéderont à trois tentatives d’adaptation. Avec G. W. Bush et le Projet pour le Nouveau siècle Américain (PNAC). Ce seront les interventions militaires en Afghanistan et en Irak. Avec B. Obama et «le nouveau mode de gestion de l’hégémonie » illustré par  le non-bombardement de la Syrie accusée d’avoir utilisé l’arme chimique  et enfin Trump - dont la politique est longuement analysée par l'auteur - qui tente de surmonter la contradiction : poursuivre la militarisation de l’action (il décide du retrait des USA de plusieurs traités internationaux de désarmement) et, pour des raisons électorales, «faire rentrer les boys ».

 « Nous vivons un temps accéléré de mutations technologiques […] Les changements induits par le développement des hautes technologies sont en train de bouleverser la physionomie de la guerre. » (P.105) Dans un monde guidé par les logiques de puissance, les hautes technologies sont en effet utilisées pour « perfectionner » les armes.

Jacques Fath nous décrit  cette  course aux armements. Ces nouvelles  armes et la puissance actuelle des armes nucléaires font froid dans le dos.. Des « robots tueurs autonomes » échappant à toute décision humaine, capables de rechercher, identifier, cibler et abattre une cible ; aux armes hypersoniques  qui, en raison de leur vitesse, ne peuvent être interceptées, donc neutralisées ; « au soldat augmenté », aux capacités sans limites, dont la personnalité est transformée selon un  « un processus de conditionnement et de modification intrinsèque de l’individu pour la guerre» (P.133)…Loin d’aboutir à un équilibre de la terreur neutralisant les adversaires, ces technologies nourrissent au contraire la course aux armements, donc les risques de guerres, alors qu’aux terrains traditionnels de conflictualité s’ajoute désormais la sphère cybernétique (internet, communication, données numérisées…).

La FRANCE et l’OTAN

L’alliance antinazie des pays occidentaux et de  l’URSS conclue pendant la Seconde guerre mondiale a rapidement fait place à la «  guerre froide ». C’est dans ce contexte qu’est créée le 4 avril 1949, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord  (OTAN). Quelle va être l’attitude de la France ?

Celle-ci  y adhère en contrepartie de l’aide américaine du Plan Marshal. Après les gouvernements atlantistes de la IVe République, De Gaulle revenu au pouvoir en 1958, décide en 1966 de retirer la France du Commandement militaire de l’OTAN tout en restant membre de l’Alliance atlantique. Jacques Fath dénonce la « mythologie entretenue d’une rupture tranchée avec l’Otan ». L’indépendance de la force française nucléaire dite de « dissuasion » est un leurre. La France adhère en effet au principe d’ « Assistance mutuelle en cas d’agression » de l’UEO (Union de l’Europe Occidentale) qui a succédé à la CED (Communauté Européenne de Défense) repoussée en  1954 par le Parlement français. Des accords secrets accentueront cette subordination en 1966 (Echange de lettres Couve de Murville/Willy Brandt) et surtout en 1967 (Accord du  Général Ailleret et du Général allemand Lemnitzer). Les présidents suivants apporteront tous, à l’insu de la représentation nationale et des Français, leur pierre à l’intégration de plus en plus poussée des forces militaires françaises. Georges Pompidou qui continue de bénéficier de l’aide technique américaine pour la force nucléaire française. Valéry Giscard d’Estaing en atlantiste assumé rendit cette politique plus visible  et sous sa présidence, le Chef d’Etat-Major des Armées, le Général Méry se prononcera en faveur de la stratégie offensive contre l’URSS baptisée « défense de l’avant ».  En ce qui concerne François MItterrand, le site web de l’OTAN écrit : « Le Président Mitterrand est celui qui à la fin de la décennie 80, et pendant les années 90, a amorcé le retour de la France dans la structure du Commandement militaire intégré de l’OTAN », une politique que poursuivra son successeur Jacques Chirac. » Ce dernier engagera l’armée française au Kosovo et en Afghanistan mais refusera en 2003 de participer à la guerre américaine contre l’Irak. Avec Sarkozy qui exalte « la famille occidentale », c’est l’atlantisme décomplexé. Il engagera la guerre en Libye dont les conséquences dramatiques perdurent pour tout le continent africain. François Hollande est le président qui engagera plus d’opérations militaires extérieures : après le Mali, la Centrafrique et l’opération avortée en Syrie, la France s’engagea en Irak aux côtés des Américains.

 « Loin d’avoir construit un pôle « autonome » français, une capacité d’agir originale pouvant servir de référence dans une forme de non alignement, dans la promotion de la diplomatie, du multilatéralisme et de la responsabilité collective, les autorités françaises successives au fil des décennies, ont choisi de bâtir une politique étrangère et de défense sur l’atlantisme, sur le suivisme pro-américain et parfois même, aujourd’hui, sur une surenchère aux accents bellicistes» (P.247).

Macron  qui aspire à un rôle dirigeant en Europe, sachant celle-ci divisée sur les questions de défense, est prudent dans ses déclarations, mais encourage les entreprises d’armement dans leurs recherches.

Les armes nucléaires

Les Etats-Unis possèdent la bombe atomique depuis 1945 (Hiroshima, 6 août 1945) et la bombe à hydrogène depuis 1952. La Russie, la bombe A depuis 1949 et la bombe H depuis 1953. La France a procédé à son premier essai (Gerboise bleue au Sahara algérien) en 1960. Elle possède la bombe H depuis 1968.

La bombe A sur Hiroshima en 1945 avait fait entre 96 000 et 166 000 mots et 60 000 à 80 000 morts à Nagasaki.  « Ce ne sont pas des armes comme les autres […] Ces armes possèdent une capacité de destruction et de mort à une échelle d’anéantissement social et humain global.» (P.148).

Depuis la création de l’ONU, plusieurs accords internationaux ont permis d’en réduire le nombre Mais ne nous y trompons pas, ces engins de morts sont aujourd’hui plusieurs dizaines de fois plus puissants qu’en 1945. La question qui nous est posée est celle de leur destruction.

Le « rapport » Kanapa

Jacques Fath évoque brièvement (P.144)  le « rapport Kanapa »  et le « ralliement » du PCF en 1977  au « choix de la dissuasion nucléaire », ainsi que le Rapport parlementaire N°1155 de juillet 2018, par Michel Fanget, député Modem et Jean-Paul Lecocq, député PCF qui « entérine et soutient la dissuasion nucléaire française ».

J’ai vécu de près l’orientation prise en 1977, auprès de Jean Kanapa qui « suivait » la fédération communiste du Gard dont j’étais à cette époque le secrétaire fédéral (départemental).

Dans son rapport devant le Comité Central du PCF qui l’approuvera il se prononce: « pour la maintenance de l’arme nucléaire, c’est-à-dire pour le maintien de l’aptitude opérationnelle de l’arme nucléaire (ce qui implique son entretien et l’inclusion des progrès scientifiques  et techniques) au niveau quantitatif défini par les seules exigences de la sécurité et de l'indépendance du pays » ( Fonds Kanapa Polex, 1975-1978, Gérard Streiff, p.116)

La direction du PCF, après quelques résultats électoraux prometteurs en 1976, était persuadée de la participation prochaine des communistes au pouvoir en France. Jean se situait résolument dans cette perspective – c’était également ma conviction – et il s’efforçait d’y préparer le parti. Il avait vécu douloureusement l’échec de l’Unité Populaire au Chili en 1973 et il me fit part à plusieurs reprises de sa préoccupation : surtout ne pas se retrouver dans la situation d’Allende qui, après avoir gagné les élections, fut abattu par le coup d’état de Pinochet. Il fallait pour cela, me disait-il, pouvoir s’appuyer sur un soutien populaire suffisamment large et disposer des moyens de combattre une éventuelle contre-révolution venant de l’intérieure ou de l’extérieure. Contrairement à ce que certains ont prétendu, l’actualisation du programme commun, demandée par le PCF, n’avait pas pour objectif de dynamiter l’union de la gauche, mais au contraire de se donner les moyens de pratiquer au pouvoir une politique qui réponde aux attentes populaires, dans une situation où le Parti Socialiste se montrait hésitant sur la nationalisation des secteurs clef de l’économie, inscrite pourtant dans le Programme Commun de la Gauche adopté en 1972. Notre  « ralliement » à la force de frappe nucléaire française avait le même objectif. Au Chili, Pinochet avait été encouragé et soutenu par les Etats-Unis. Ce danger existait aussi en France. Jean Kanapa prit une série d’initiatives, notamment de nombreuses visites, afin de désamorcer si possible les velléités interventionnistes états-uniennes et conserver à la France sa capacité militaire de défense. Accessoirement, mais ce n’était pas négligeable, faire un pas vers le PS qui s’apprêtait à faire un pas dans le même sens. On a dit aussi, que cela avait pour but de s’attirer la sympathie d’une partie des Gaullistes (Gérard Streiff, Jean Kanapa 1921-1978, tome 2, page 118).

Je partageais cette analyse et ces propositions. Les réactions hostiles des communistes furent très vives. Quelques années plus tard, le PCF reviendra sur cette orientation et remettra au premier plan la nécessité du  désarmement général et l’abandon de la force nucléaire française.

Lors de la discussion en Commission à l’Assemblée Nationale du rapport N° 1155 dont il est le co-auteur, Jean-Paul Lecocq (PCF) fait le commentaire suivant :

« La paix doit aujourd’hui être garantie autrement que par la non-prolifération. Il faut travailler par petit pas, par exemple en supprimant les armes nucléaires dans certaines zones géographiques, comme on l’a fait en Amérique latine ou en Afrique.

Lorsque j’ai débuté cette mission d’information, je pensais que la France devait montrer l’exemple, comme pour l’environnement, ce qui impliquait d’abandonner unilatéralement nos armes nucléaires. Mais il ne faut surtout pas laisser le monopole du nucléaire aux deux grandes puissances ; il faut rester autour de la table des négociations, pour arriver à un désarmement total et général. Nous pourrions jouer le rôle d’arbitre ; je serais assez fier si mon pays assumait ce statut. Mais il faut tenir compte de la dynamique actuelle sur le désarmement nucléaire, qui est populaire et qui inquiète nos autorités. La diplomatie des pays dotés est à l’œuvre pour dissuader les Etats de ratifier le TIAN. »

Cette position, conforme au programme de 2017 du PCF « La France en Commun », constitue un retour à 1977, sans tenir compte des évolutions ultérieures du PCF.

« …dans le contexte international actuel, ultra « compétitif » en raison de la recherche permanente de la suprématie stratégique et de l’affirmation du paradigme de la puissance, c’est la nature des armes, leur existence même, les défis existentiels et humains qu’elles soulèvent qui doivent être considérés en toute priorité. Le niveau des puissances atteintes l’impose. » (P.127) Comme un letmotiv, tout au long de cet ouvrage, Jacques Fath affirme avec force, ce qui doit être notre objectif  : « La question essentielle – ou existentielle – ne devrait plus être comment dissuader ou surpasser l’ennemi désigné, mais comment construire de la sécurité collective, comment rendre le monde plus sûr pour les peuples » (P.267). Dans ce cadre, un long paragraphe est consacré à la Françafrique et au partenariat de l’Union Européenne et des ACP (pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique).

Faut-il désespérer ?   

« Certes – nous dit Jacques Fath – on a franchi des seuils très préoccupants dans la course aux armements, les tensions internationales et les conflits, le terrorisme, les risques sécuritaires planétaires, la négation d’une  éthique minimum et des bases de solidarité, le mépris du droit et du multilatéralisme onusien […] L’ordre international construit après la Seconde guerre mondiale est entré dans un processus de dislocation avancé […] avec…l’effondrement continu des bases de la sécurité internationale…  » (P.260 et 262)  Dans une telle situation, le général Henri Bentégeac, ancien chef d’état-major des armées,  appelle à in « réarmement des esprits ». Faudrait-il donc considérer comme inéluctable le déclenchement d’une nouvelle guerre mondiale qui mettrait en cause y compris l’existence de l’humanité et en prendre notre parti ? Nous pouvons enrayer cette course à l’abîme. « L’enjeu est très élevé. Au-delà des politiques nationales, il faut transformer à la fois l’ordre international et l’ensemble des relations économiques, sociales, institutionnelles et stratégiques du monde global dans lequel nous vivons. » (P.89)

« L’importance grandissante des défis globaux, les manifestations de la colère et de l’impatience des peuples commencent cependant à lentement changer la donne, sans pour autant ouvrir encore vraiment le champ des alternatives. Mais la contrainte capitaliste du productivisme par et pour le profit, l’autoritarisme, ainsi que le rapport d’exploitation du travail et des ressources se voient de plus en plus nettement contredits par l’expression d’exigences populaires nationales, par des convergences d’intérêts sur le plan international concernant à la fois le profond besoin d’égalité, de démocratie, de justice en société, en relation avec les aspirations écologiques. Ce mouvement du monde, périlleux mais contradictoire, peut ouvrir à d’autres perspectives politiques, à d’autres possibles, à un ordre mondial plus démocratique et plus pacifique. » (P.263).

La déclaration du Pape François à Nagasaki le 24 novembre 2019  est une contribution importante à l’action pour préserver la Paix dans le Monde: «  Nous ne pourrons jamais nous lasser d’œuvrer et de soutenir avec une insistance persistante les principaux instruments juridiques internationaux de désarmement et de non-prolifération nucléaire, y compris le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires » (P.150).

Merci Jacques de nous permettre, avec « Chaos », de prendre la hauteur nécessaire  à la réflexion sur le devenir de l’humanité et sur ce que cela implique d’engagement militant pour chacun(e) de nous dans une démarche réaliste mais résolument optimiste.

Bernard DESCHAMPS

31 octobre 2020

* CHAOS, Jacques Fath, éditions du croquant, octobre 2020.

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