El Watan
Naïma Djekhar 21 novembre 2019
Les sacs-poubelle que certains hirakistes ont accrochés, vendredi dernier, sur des panneaux électoraux près du marché couvert Ferrando ont disparu en début de semaine.
Les services de la voirie, sur injonction de l’administration, sont passés par là. Il faut surtout donner l’illusion que l’activité électorale bat son plein, quand bien même les affiches des candidats ont été arrachées. Constantine, en ce mardi, troisième jour de la campagne électorale, ne connaît aucune effervescence.
En cette matinée froide, la ville n’est pas encore sortie de sa torpeur. Il est déjà 10h et ses rues sont désertes, mêmes les principales artères connaissent peu d’animation. Les rares passants vaquant à leurs occupations quotidiennes ne s’attardent nullement devant les panneaux électoraux, restés nus. La capitale de l’Est, comme toutes les grandes agglomérations du pays, a annoncé la couleur.
La mobilisation a déjà fait ses preuves la semaine dernière avec des rassemblements anti-élection alors qu’une marche favorable au scrutin – initiée, dit-on, par un membre du FCE – a fait sa parade sous l’œil bienveillant de la force publique. D’ailleurs, certains candidats n’y mettront pas les pieds. A l’instar de Azzeddine Mihoubi. L’étape Constantine n’est pas inscrite dans son agenda électoral. «Tant mieux pour nous, la commune n’a pas encombré les trottoirs avec les panneaux cette fois-ci», fait remarquer un retraité qui sort d’une boulangerie traditionnelle, rue Petit.
Remarque pertinente concernant ses supports. La municipalité ne s’est pas trop démenée pour installer le même nombre que pendant la campagne des législatives. Entre la Brèche, le boulevard Belouizdad (Saint-Jean) et les Arcades (Abane Ramdane), nous avons compté à peine quatre panneaux. Un aveu tacite de l’administration de l’inexistence de la campagne électorale. Dans la banlieue ouest de la ville, la chasse aux affiches a commencé depuis au moins deux semaines. Des dizaines ont été collées sauvagement – mais les autorités n’en ont cure – sur un mur d’enceinte entre la cité 5 Juillet et son prolongement vers la cité Boudjenana. Elles ont toutes été minutieusement enlevées. Ceux qui s’en sont chargés voulaient peut-être éviter toute dégradation au mur.
UN SEUL MOT D’ORDRE
Les Constantinois ne vont pas déroger à la règle, ils promettent d’autres actions pour empêcher le déroulement d’une campagne électorale singulière. Le rejet de ce scrutin par la rue, qui le confirme au moins deux fois par semaine, les vendredis et mardis de la contestation, englobe aussi ce forcing de campagne. «Nous avons organisé un double rassemblement jeudi dernier, dispersé violemment et avec des interpellations. Mais cela reste non dissuasif pour nous, il n’y aura pas d’élection le 12 décembre», assène un activiste de la scène locale.
Lors des forums citoyens, l’option du boycott a été abordée, mais certains veulent le durcissement. Ils privilégient une option plus radicale : la désobéissance civile. Les débats n’ont pas encore tranché, mais à cinq semaines de ladite échéance, les hirakistes affûtent leurs armes.
Devant le palais de la culture El Khalifa, sur la place de la Liberté, devenu depuis l’avènement du mouvement populaire du 22 Février le point de ralliement des contestataires, des pancartes sont souvent accrochées, dénonçant «le système, ses symboles et la mascarade électorale». C’est devenu un rituel pour «rappeler les raisons qui nous ont fait sortir dans la rue», affirme-t-on. «Ce sont là des pans des revendications du hirak, tel un manifeste, pour rester vigilants», nous lance un habitué de l’endroit alors qu’on prenait des photos.
TOUS LES MOYENS, Y COMPRIS LE TRAMWAY
C’était au lendemain du match des qualifications à la CAN-2020 entre l’Algérie et le Botswana. La victoire de l’équipe nationale (1-0) a focalisé les discussions dans les cafés et dans la rue. «Il n’y a que les exploits des Verts qui méritent qu’on s’y attarde», reconnaît Imad, un vendeur de fanions à l’effigie du club-phare de la ville. La campagne électorale ne lui parle pas. Elle est invisible pour lui et pour l’ensemble de la population.
A part le candidat Benflis, les quatre autres n’ont pas d’adresse à Constantine. Pas de permanences connues. Le siège de Talaie El Hourriyet, situé au centre-ville, ne connaît pas une animation extraordinaire. «Quand est-ce qu’il viendra à Constantine ?» Le candidat – qui a été chahuté à Tlemcen, Tamanrasset et Guelma lors de ses premières sorties – a programmé des meetings à Tébessa et Constantine pour le 4 décembre, nous confirme un membre de son staff.
En sortant de l’immeuble abritant le QG de campagne du candidat Benflis, des voix nous parviennent : «Makanch intikhabate maâ el îssabate !» «Ulach el vote ulach !» des slogans qui résonnent depuis la place Colonel Amirouche (La Pyramide). C’est la procession des étudiants qui s’est ébranlée du campus Mentouri, à une dizaine de kilomètres, et qui est arrivée vers 13h30 en ville. Soudain, une animation s’empare de cette artère principale. Certains citoyens vont se joindre à la marche, d’autres restent sur le trottoir tout en les encourageant par des applaudissements ou en levant les doigts en «V» de la victoire. C’est comme si une boule d’énergie venait de débouler et rendre le sourire aux passants. «Cette énergie et cet enthousiasme nous rendent l’espoir en un avenir meilleur, débarrassé de la îssaba», commente une militante du mouvement associatif.
Un optimisme partagé par beaucoup, qui demeurent inébranlables dans leur engagement, malgré la politique du fait accompli. «Ils ont interdit la circulation du tramway depuis deux vendredis pour empêcher la population de Zouaghi et de la nouvelle ville de participer au hirak», dénoncent des usagers. «Ils», se sont les représentants de l’administration. Tous les moyens sont permis pour entraver la mobilité des citoyens et amenuiser l’impact de la contestation. La contre-révolution semble avoir cours même en période électorale. Le peuple en est conscient et agit en conséquence.