Quand il quitta la légion avec le grade de tribun, Hadrien décida de rester à Némausus et d’y faire édifier une villa au milieu des vignes qui produisaient le divin nectar qui si souvent avait égayé les fastidieuses soirées de garde. Pour décorer son immense demeure, il fit réaliser deux mosaïques, l’une, noblesse militaire oblige, à la gloire d’Achille, l’autre sur le thème de la mort de Penthée décapité par sa mère. Ce choix avait choqué certains de ses amis. Certes, la représentation de Penthée agenouillé devant Agavé qui le tient par les cheveux est d’une grande beauté, mais pourquoi avoir choisi un sujet aussi dramatique ? Provocation d’un reître habitué à faire couler le sang ? Approbation du châtiment ordonné par Dyonisos dont Penthée contestait à la fois le sens de la fête et l’autorité ?
Allongé sur un lectus, après un repas bien arrosé, son regard était irrésistiblement attiré par cette scène et les vapeurs de l’alcool aidant, il voyait les bacchantes sortir de leur médaillon et, laissant flotter leur voile, entamer une sarabande endiablée au son des aulos dont la musique syncopée sera magnifiée des siècles plus tard par le jazz. Son cerveau enfiévré imaginait des développements mélodieux qui auraient pu être ceux d’un accordéon, tandis qu’autour de lui volaient des canards colverts, des perdrix, des perruches à collier et des huppes, échappés de la mosaïque. L’ivresse a cette vertu d’abolir le temps et d’ouvrir des rivages insoupçonnés.
« Quel feu, circulant dans mes veines,
M’inspire de nouveaux transports !
Je vois Bacchus, je vois sa gloire ; »*
Je n’étais pourtant pas sous l’empire d’un délire bachique, mais je me réveillai soudain au Musée de la Romanité de Nîmes, alors que l’ensemble de clarinettes Poco Assai accompagné de l’accordéon de Sébastien Mazoyer, nous interprétait sous la direction de Nicolas Stimbre, La Nuit des Bacchantes, un poème symphonique composé par Bruno Rattini après que Mathieu Loiseau nous eut conté de belle façon le texte d’Euripide Les Bacchantes.
Bernard DESCHAMPS
17 novembre 2019
*Les contemporaines, Casimir Delavigne