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A peine arrivé sur l’île de Mayotte le 22 octobre dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, s’est exclamé : « Mayotte, c’est la France ! ».
Non, Monsieur le Président, Mayotte ce n’est pas la France.
Vous ne pouvez pas dire cela. C’est une contre-vérité historique et juridique. C’est surtout le résultat d’une manipulation politique et d’un outrage aux grands principes qui fondent le droit international.
Mayotte devrait, en droit, être considéré comme une des quatre îles de l’Archipel des Comores. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Cette île a été intégrée comme région et comme département français en 2011, et comme région ultra-périphérique de l’Union européenne en 2014.
Pourquoi en est-il ainsi ?
Le 22 décembre 1974, les autorités françaises (Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, alors son Premier Ministre), ont organisé un référendum d’autodétermination sur l’Archipel comorien, donc, évidemment, sur les quatre îles. Trois îles (Grande Comores, Anjouan et Mohéli) ont choisi l’indépendance à près de 95 % des votants, tandis que, pour des raisons politiques compliquées, Mayotte s’est prononcé à 63, 82 % en faveur d’un maintien dans la République française. Les autorités françaises ont ensuite fait revoter séparément les habitants de Mayotte pour pouvoir acter ce résultat et imposer ainsi le maintien d’un statut séparé et spécifique à une seule île sur les trois de l’ensemble territorial comoriens. Comme si l’on pouvait ainsi, selon son bon vouloir et ses propres intérêts, « charcuter » les réalités historiques et géographiques de tout un peuple.
Cette manipulation constitue une véritable forfaiture. Et pourtant elle a été acceptée en silence par tout les Présidents qui ont succédé à VGE (ou « à regret » par François Mitterrand). Mais qui, aujourd’hui, s’en préoccupe ?
Puisque la France permit à l’ensemble du peuple comorien, dans ses quatre îles, à exprimer un choix d’autodétermination, c’est (logiquement) le résultat sur l’ensemble des quatre îles qui devait être pris en compte et respecté. Évidemment. Un tel choix aurait été conforme au droit international, au droit inaliénable des peuples à l’autodétermination et aux pratiques les plus communément admises dans les relations internationales. Mais la France voulait conserver une « possession » coloniale dans l’Océan Indien. Pour les ressources à exploiter, pour l’intérêt stratégique, pour pouvoir triomphalement s’exclamer (encore) « la France est la deuxième puissance maritime mondiale ! » … Pour tout cela, et pour bien des raisons propres à la politique de puissance de la France, les autorités ont alors fait ce qu’il fallait contre la volonté majoritaire du peuple comorien pour imposer unilatéralement un choix illégal. Le peuple des Comores a été bafoué dans son unité et dans son intégrité. De scandaleuse façon.
Aujourd’hui, on oublie trop ces faits très graves. Malgré le nombre impressionnant des résolutions des Nations-Unies qui (comme l’Union africaine) n’ont pas accepté cette politique de force contre la souveraineté comorienne, et n’ont cessé d’en exprimer son inadmissibilité. La France est ainsi hors la loi depuis 1974.
Depuis, plusieurs dizaines d’années, des milliers de comoriens se sont noyés en cherchant à rejoindre Mayotte. Beaucoup voulaient pouvoir bénéficier (on les comprend) des services sociaux et de santé installés à Mayotte. Et les liens familiaux et culturels subsistent. D’ année en année, la France a durcit sa politique de répression et de refoulement en développant des moyens policiers et judiciaires importants pour empêcher l’accès à Mayotte. En traitant la question comme un enjeux de lutte contre « l’immigration clandestine ». C’est inacceptable. Ceux qui risquent leur vie sur les « kwassa-kwassa » ne sont pas des migrants mais des citoyens comoriens qui ont un droit imprescriptible de circulation sur tout leur territoire.
Le peuple comoriens est Un. C’est un seul peuple. Le processus colonial français ne peut pas être endossé comme un fait accompli malgré le temps qui passe, et malgré la lâcheté des responsables politiques : tous ceux qui ne disent rien et qui ne font rien depuis tant d’années. Il faut trouver une issue de justice et de dignité pour le peuple comorien… et aussi pour la France qui s’est déconsidérée au regard du droit et de l’éthique en politique.
Mayotte, aujourd’hui, c’est près de 180 années de colonialisme français. Il serait temps d’en sortir. La France doit reconnaître et assumer clairement tout son passé colonial, et engager une politique volontariste afin de contribuer au développement des Comores dans l’intégrité de son territoire historique : celui des quatre îles qui le constituent. En coopération avec les autorités comoriennes, avec l’Union africaine et l’ONU. Avec l’aide de l’Union européenne et des institutions financières internationales. Il est nécessaire de construire ainsi, pour l’ensemble du peuple comorien, les conditions économiques, sociales, institutionnelles pour l’affirmation d’une unité comorienne dans la souveraineté, l’indépendance et l’égalité, dans le progrès social pour toutes et pour tous. Ce serait une forme de révolution contre les honteux héritages du colonialisme. Il faudra bien pour cela donner l’exemple. Il y a certainement diverses façons de dépasser les dominations et les prédations qui prolongent outrageusement le fait colonial. Il faut les inventer et les construire avec les peuples concernés. Ce qui est donc nécessaire, c’est un nouvel ordre international. Personne ne dit que c’est facile… C’est un défi énorme. Un défi de civilisation. Mais les peuples qui ont subi la colonisation y ont droit. Et quand on voit l’évolution de la situation internationale, les violences et les guerres d’ aujourd’hui, on se dit que c’est plutôt urgent…
Jacques Fath