Me rendant aux obsèques de Jean Poudevigne à Domazan, je contemplais les paysages de la Vallée du Rhône que je parcours toujours avec infiniment de plaisir. Vallonnée, avec sa mosaïque de vignes, et ici ou là un bouquet de cyprès qui couronne une butte, une croix de pierre en bordure d’un chemin…Jean Poudevigne était fils de vigneron et, bien qu’il ait fait des études supérieures, il était resté un homme de la terre. L’office religieux dans la petite église de Domazan, me confirma cet attachement au terroir, à sa population et à ses traditions.
A l’ère de la mondialisation, ce n’est plus ce profil politique que recherche le capital financiarisé, mais des technocrates « hors-sol » obnubilés par le taux de profit sans égard pour l’être humain. Macron en est le prototype. Est-ce la raison pour laquelle si peu d’élus de droite étaient présents à ces obsèques ? * Comme l’avait prédit Marx, notre société sombre dans «les eaux glacées du calcul égoïste » et ce mépris de l’homme et de l’ancrage territorial nourrit le repli identitaire, le rejet de l’autre parce que différent, une monstrueuse caricature du patriotisme.
Nous avons été des adversaires politiques pendant quarante-trois ans, de 1958, date de sa première élection législative, à 2001, quand nous ne nous sommes pas représentés aux élections cantonales. Nos idées politiques étaient radicalement opposées.
En 1958, alors que Jean Poudevigne était porté par la vague gaulliste, je combattais le pouvoir personnel de De Gaulle. En 1962, je saluai l’indépendance si chèrement acquise de l’Algérie quand Jean Poudevigne condamnait les Accords d’Evian. Il fut réélu député en 1968 dès le premier tour de scrutin en réaction à la grande grève de 1968 que j’avais intensément vécue. En 1972, le Programme commun de la Gauche en faveur duquel le PCF s’était si résolument engagé, fut combattu par Jean Poudevigne qui le considérait comme un danger pour la France. En 1973, mon désistement en faveur du Docteur Jean Bastide permit de lui ravir le siège de député que je remportai ensuite, contre lui, en 1978. Au conseil général pendant près de deux décennies, nous nous sommes également affrontés, lui au nom de la Droite, moi au nom des Conseillers généraux communistes.
Et pourtant … Et pourtant, nous nous respections. Nous respections en l’autre l’être humain en le créditant d’intentions louables en dépit des options politiques que nous condamnions. Nous bannissions les manœuvres déloyales, les attaques personnelles, les traîtrises…au profit du débat d’idées, de la confrontation des projets en faisant l’électeur juge de ses choix.
Avec la disparition de Jean Poudevigne, j’ai conscience d’avoir hier à Domazan, changé d’époque.
Bernard DESCHAMPS
23 août 2019
(Le tableau de la couverture est de Jacqueline Bret-André)