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31 juillet 2019 3 31 /07 /juillet /2019 06:47

A quelques jours d’intervalle,  j’ai reçu deux romans. L’un m’avait été signalé par une amie, Tu n’habiteras jamais Paris. L’autre, Dernières heures avant l’aurore, par le journal l’Humanité. Deux auteurs d’origine algérienne de la même génération, nés et vivant en France. Deux parcours. Karim Amellal, enseignant à Sciences-Po. Omar Benlaâla, écrivain autodidacte. Deux perceptions de la France et de l’Algérie différentes mais comportant des points communs. Entre attirance pour la France et nostalgie du pays d’origine de la famille.

Tu n’habiteras jamais Paris,

(Omar Benlaâla, Flammarion septembre 2018)

L’enfance et la vie de  Bouzid racontées par son fils Omar. Une plongée dans la vie d’un oualed au bled avant l’indépendance, puis en France.

« Tu n’habiteras jamais  Paris »…est la réponse de l’assistante sociale à la demande de logement de Bouzid qui travaille et vit en France depuis de nombreuses années et où il a contribué, comme ouvrier maçon, à construire des écoles, des hôpitaux et autres édifices.

« Je n’ai pas besoin de vous, pour me sentir chez moi, madame, dans cette ville {…] Je (lui) ai sacrifié un doigt, ma jeunesse, ma terre. » Il tiendra bon et obtiendra un logement (exiguë) à Ménilmontant où il vivra avec son épouse qu’il fait venir de Kabylie.

Dès ce premier chapitre, tout est dit, du racisme ambiant et malgré tout de l’attrait pour la France et de l’attachement au pays.

Bouzid donc est né en Algérie en 1938 ou 1939 ; l’administration française était très approximative sur ce point. Il déroule ses souvenirs devant son fils Omar qui les rapporte  fidèlement avec les mots de son père. Omar, lui est né en France. Il a publié en 2015 son autobiographie, La barbe. Bien que bon élève, il a quitté l’école à l’âge de 15 ans pour dealer avec ses copains. Arrêté, condamné et emprisonné à Fleury-Mérogis, il y a « rencontré Dieu presque par surprise » et il a épousé le jihad (d’où la barbe) dont il s’est émancipé depuis.

La complicité intellectuelle entre le père et le fils est évidente. « Je me vois en lui, mêmes gestes, même sourire». Parallèlement au récit de la vie de son père, il a entrepris des recherches sur un autre ouvrier maçon, exilé de l’intérieur, Martin Nadaud né en Creuse et qui sera un des députés républicains de la IIIe République.

L’enfance et la jeunesse de Bouzid en Kabylie sont éclairantes de la situation des « Français musulmans » au temps de la colonisation française : « Aussi fière que les montagnes, la misère faisait partie du décor […] J’ai poussé sous un toit de tuile, dans une maison coupée en deux. On vivait les uns contre les autres dans la première pièce […] Parfois, on restait deux jours sans rien avaler qu’une part de galette de racines broyées ». 

Il a huit ans quand sa mère meurt en couches. IL vit douloureusement cet épisode tragique.  

Le jeune Bouzid va peu  fréquenter la madrasa car l’apprentissage du Coran à coup de baguette le rebute. Fort en calcul, il aura très tôt  la bosse du commerce et le récit de ses tribulations est un régal. Il n’avait pas, dit-il, « conscience d’être colonisé  {…] Me voilà en 1954, pris entre deux feux, comme tous les autres […] On n’était pas préparé à la  révolution. Ces choses, ça ne s’improvise pas ». Il va vivre la guerre d’indépendance comme un évènement extérieur à sa vie. Endurer. Donner des gages aux uns et aux autres, sans s’engager vraiment…C’était l’attitude de beaucoup avec cependant, une sympathie spontanée  pour  les fedayin,  qui conduisait nombre d’entre eux à les rejoindre dans le maquis.

Il a envie de voir du pays. Il quitte la maison et se retrouve à Bougaâ en Petite Kabylie. A l’indépendance il part pour Alger où se cachait son père (le grand-père d’Omar) qui avait été suspecté de sympathie pour les fellaghas. Cette année-là, il se marie, ou plutôt, conformément à la tradition, sa famille le marie. C’est, de plus , la condition pour obtenir la pièce d’identité algérienne nécessaire pour aller en France. Muni du précieux sésame, il prend pour la première fois l’avion, sa jeune épouse restant en Kabylie. «… la première chose que j’ai vue de Paris, c’est cette grande dame en bronze. Habillée comme une Kabyle avec sa longue robe, ses bras découverts, les pieds nus et son foulard sur la tête ». On aura reconnu la statut de la Place de la République.

Solidarité familiale oblige, il est accueilli et hébergé par des cousins dans un quartier pauvre et dégradé de « Paris la plus belle ville du monde ». Douze personnes pour six lits dans trois petites pièces.

« On était sacrément perdu mon fils. Alors on s’est concentré sur ce qu’on savait faire le mieux : travailler […] les offres d’emploi arrivaient de partout ».  C’était en 1972, 1976… Chaque matin les ouvriers se rendaient sur une place – véritable marché d’esclaves – où des entreprises venaient les recruter. «  Trimer. Encaisser. Et quoi d’autre ? On n’avait pas beaucoup de loisirs, pas de télévision ». Il y avait les cafés et les cinémas arabes.

Bouzid va mener cette vie de célibataire  pendant plusieurs années, avec de loin en loin de brefs séjours en Algérie, jusqu’au moment où il va décider de faire venir son épouse. D’où sa visite à l’assistante sociale…

La famille s’agrandit. Les enfants vont fréquenter l’école. Il veut pour eux la meilleure. Pas celle du quartier que l’on veut lui imposer. Il devient délégué de la FCPE, puis militant syndicaliste de la CGT. Respecté par son patron, car excellent ouvrier.

Le récit se termine sur un nouveau voyage en avion, à la retraite, pour rendre visite à sa petite-fille qui vient de naître à New-York…

Lisez vous-même ce livre afin d’en apprécier toute la saveur que ne saurait rendre ce compte-rendu qui nécessairement élude les digressions, les détours qui font le charme du parler-vrai de Bouzid.

 

Dernières heures avant l’aurore

(Karim Amellal, éditions de l’aube, mai 2019)

Pour qui connait Alger, on prend un certain plaisir à lire ce roman émaillé de noms de rues, de places, de monuments connus. Mais je dois avouer que je n’ai pas, en le lisant, ressenti la même émotion qu’à la lecture de Vous n’habiterez jamais Paris.

C’est un roman avec une intrigue assez filandreuse d’ailleurs, dans laquelle on rencontre d’anciens  fedayin, des membres des services secrets, des truands et… quelques belles personnes comme Mohamed ancien haut fonctionnaire du jeune Etat algérien ; Sonia son amour de jeunesse ou Rachid ancien professeur au lycée Descartes d’Alger.

Une voix inconnue au téléphone (sa conscience ?) menace Mohamed s’il ne rentre pas en Algérie. Il hésite longtemps et se décide enfin accompagné de son ami Rachid.

 « Voici Alger qui s’étend devant lui. Une grosse masse féroce, tentaculaire qui s’étend à perte de vue » Vont alors alterner les descriptions négatives et  les notations affectueuses, qui reflètent l’état d’esprit de Mohamed partagé entre la nostalgie et la déception. Il a conservé le souvenir exaltant des années de l’indépendance et il retrouve une ville « Où les femmes voilées il n’y a que ça », avec des fast-food, des trous dans le bitume des rues, des autoroutes, des centres commerciaux à la place des souks et des « barbus » en BMW.  « Pourquoi ont-ils laissé des traîtres s’emparer  de leur si belle Révolution ? », s’interroge-t-il. Sa participation à la guerre d’Indépendance n’a pas été particulièrement héroïque. « En 1954, quand il entendit parler des premiers hommes qui prirent le maquis, lançant ainsi la Révolution, il n’était pas sûr que ce fut la bonne méthode […]…et puis que signifie l’indépendance ? ». Arrêté devant la Grande Poste à Alger, au cours d’une manifestation d’étudiants dans laquelle il se trouvait par hasard, « il se forgea une lucidité révolutionnaire en prison. » Quand des exécutions avaient lieu, «  Des youyous montaient du quartier des femmes. Ils étaient beaux et durs, tendres et lancinants, et dans leur puissance affligée, dans leurs coeurs déchirés et leurs yeux crépitants, résonnait le combat de tout un peuple. »

De la fenêtre de son appartement algérois, « Il regarde cette révolution qui gronde, en bas de son immeuble, mais craint qu’elle se craquelle, que les monstres l’engloutissent, comme ils ont toujours fait. […] Une Algérie disparait. Une autre se lève déjà. Flamboyante ; turbulante, mais plus belle. Comme une aurore. »

Bernard DESCHAMPS

17 juillet 2019

LECTURES CROISEES, DEUX PERCEPTIONS DE L’ALGERIE
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