par Bernard Deschamps

Alors que j’écris ces lignes, les manifestations du vendredi continuent en Algérie. Après l’imposante démonstration du 5 juillet, date anniversaire de l’Indépendance (effective le 3 juillet 1962 mais commémorée le 5), les observateurs s’interrogeaient sur l’ampleur que pourrait revêtir ce 21e vendredi. A l’évidence, les Algériens se sont à nouveau fortement mobilisés. Dans un contexte qui évolue en permanence.
La presse algérienne souligne une double évolution du pouvoir en place. D’une part, la prolongation par le Conseil Constitutionnel de l’intérim du Président Bensalah qui dans la foulée a formulé une proposition de « dialogue national », et, dans le même temps un renforcement de la répression et une nouvelle déclaration du chef d’Etat-major Gaïd Salah considérée comme particulièrement menaçante par la rue qui exige son départ tout en témoignant de l'affection pour son armée.
Le Conseil Constitutionnel a donc prolongé l’intérim du Président Bensalah jusqu’à l’élection d’un nouveau Président de la République, en s’appuyant, non pas sur la « lettre » de la Constitution, mais sur son « esprit ». Il explique en effet que « la Constitution prévoit que la mission essentielle dévolue à celui investi de la charge de Chef de l’Etat est d’organiser l’élection du Président de la République ». De nombreux constitutionnalistes algériens contestent cette interprétation. Le 3 juillet, « Dans un discours à la nation, Abdelkader Bensalah, [ainsi prolongé, ndlr ] a proposé un dialogue, sans la participation des autorités politiques ni de l'armée, en vue de l'organisation de la prochaine élection présidentielle.» (Cnews). Cette proposition a été considérée comme une avancée par Ali Benflis, ancien secrétaire général du FLN, ancien candidat contre Abdelaziz Bouteflika et principal initiateur du « Forum du dialogue national » qui regroupe treize partis politiques (dont le MSP, islamiste, ndlr) et des organisations de la société civile qui se sont réunies samedi 6 juillet. Les principaux partis de l’opposition n’étaient pas présents. FFS, RCD, PT, PST, MDS, PLR, UCP, et les autres signataires de l’appel aux forces pour « une véritable transition démocratique » (les Communistes du PADS n’en sont pas signataires *) avaient décliné l’invitation. ll n’y avait pas non plus ni Ahmed Taleb Ibrahimi, ni de Mouloud Hamrouche, d’Ahmed Benbitour ou de Mustapha Bouchachi, ni Liamine Zeroual. Les partis proches du pouvoir n’avaient pas été invités de même que ceux qui ont soutenu le cinquième mandat.."
Dans une allocution prononcée 9 juillet, Le chef d’Etat-major de l’ANP a renouvelé sa volonté de parvenir à une élection présidentielle dans « les plus brefs délais » et il a dénoncé les « slogans mensongers, aux intentions et objectifs démasqués comme réclamer un Etat civil et non militaire ». « Ce sont là, a-t-il ajouté, des idées empoisonnées qui leur ont été dictées par des cercles hostiles à l’Algérie et à ses institutions constitutionnelles […] des traîtres qui ont vendu leur âme et conscience et sont devenus des outils manipulables voire dangereux entre les mains de ces cercles hostiles à notre pays. » Il a annoncé qu’il prendrait « toutes les dispositions réglementaires envers les agissements de ces traîtres contre l’avenir du peuple et le destin de la patrie ». Les prévenant qu’il s’agissait du « dernier avertissement.
De façon concomitante, le 10 juillet, l’Assemblée Populaire Nationale destituait son président et élisait le député islamiste « Slimane Chenine (alliance Nahda-Adala-Bina) à la présidence […] Mouad Bouchareb avait été forcé par sa propre famille politique [le FLN, ndlr] à déposer mardi 2 juillet sa démission, après avoir résisté pendant de longue semaines. Le dernier acte du bras de fer s’était déroulé le matin même de la démission, lorsque l’occupant du perchoir avait été empêché d’accéder à son poste pour clôturer la session parlementaire 2018-2019 ». Cette élection d’un président islamiste a été acquise avec le soutien du FLN et du RND fortement secoués par des résistances internes.
Qui, dans cette épreuve de force l’emportera ? Du pouvoir en place qui accentue la répression, s’efforce de diviser le hirak et lance une opération séduction en direction des Islamistes, ou du hirak (le mouvement) magnifique de combativité et de dignité, avec un sens aiguë des responsabilités, mais traversé d’aspirations parfois contradictoires : qu’est-ce qui doit être premier, l’élection présidentielle ou l’élaboration d’une nouvelle Constitution ? Quelle organisation économique pour demain ? Faut-il privatiser le secteur public encore important en Algérie ? Quelle politique sociale ? Et ceci dans un contexte international dominé par les appétits des lobbies financiers et les pressions des Etats occidentaux qui rêvent de faire main-basse sur les hydrocarbures algériens.
Bernard DESCHAMPS
13 juillet 2019
* Lire sur ce blog l’article de Zoheir Bessa publié le 21 juin 2019, Algérie, tentatives de division.