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6 avril 2019 6 06 /04 /avril /2019 14:03

Un grand livre. Pas uniquement en raison de son volume (661 pages en 24X15) mais par son érudition. Un ouvrage qui répond à un besoin en un moment où, pour des raisons politiques ou par ignorance, de nombreux historiens donnent une image tronquée, faussée, voire mensongère, de ce que fut l’action des communistes – en Algérie et en France – de 1920, date de la création du PCF, à l’indépendance de l’Algérie en 1962.

Je me suis engagé en  politique pour l’indépendance de l’Indochine d’abord, puis des pays du Maghreb et particulièrement de l’Algérie. J’avais 22 ans lors du déclenchement de l’insurrection le 1er novembre 1954. Un tel livre est utile non seulement à  celles et ceux qui n’ont pas connu cette époque mais également à nous qui l’avons vécue. Il nous permet de porter un regard distancié sur nos engagements d’alors. C’est précisément un des  mérites du travail d’Alain Ruscio qui n’élude pas les retards, les erreurs parfois de l’engagement communiste dont le parti, en France, malgré tout, fut souvent et pendant longtemps, bien seul face au lobby colonial. Ainsi, dans le Gard, les seuls maires sanctionnés furent trois maires communistes*, révoqués en 1956 pour « incitation de militaires à l’insoumission ».

Alain Ruscio retrace les évolutions du PCF, de la période dite de « bolchevisation » et son engagement résolu contre la guerre du Rif en 1925 ; au temps du Front Populaire quand il ne condamna pas l’interdiction par Léon Blum de l’Etoile Nord-Africaine ; aux lendemains de la Libération de 1945 quand fut mis en œuvre le programme novateur et progressiste du Conseil National de la Résistance qui cependant n’évoquait  que de façon vague et en  deux lignes « l’extension des droits politiques, sociaux et économiques des populations indigènes et coloniales » sans mentionner leur droit à l’indépendance.  

L’ouvrage est rythmé par les dates qui ont marqué la lutte courageuse du peuple algérien pour son Indépendance, la répression cruelle qu’il a subie et les évènements parallèles en France: la création de l’Etoile Nord-africaine ; le crime du 8 mai 1945 ; l’appel du 1er novembre 1954 par le FLN ; août 1956 et le congrès de la Soummam ; la torture institutionnalisée ; le 13 mai 1958 ; le 17 octobre 1961 ; le  8 février 1962  ; les accords d’Evian, etc.

L’auteur rappelle la déclaration sur « la nation en formation », faite en 1939 en Algérie, par Maurice Thorez, avec laquelle des responsables du jeune parti communiste algérien furent en désaccord et que l’historien Claude Lazauric qualifie , à mon avis de façon un peu outrancière, de thèse « utopique, illusoire voire fantomatique » et Alain Ruscio de « sottise ». Il traite bien sûr de la faute grave que fut le vote par les députés communistes des pouvoirs spéciaux à Guy Millet en 1956.

Un long développement est consacré, avec des apports historiographiques nouveaux, au reproche qui est fait au PCF d’avoir, à partir de 1954, privilégié le mot d’ordre « Paix en Algérie » à celui d’ « Indépendance ». Cela m’a remis en mémoire la polémique que j’avais eue il y a quelques mois avec Ludivine Bantigny venue présenter à Nîmes son livre 1968, dans lequel elle écrit (Page 112) : « le parti (PCF, ndlr) qui n’évoquait pas l’indépendance mais la Paix ». Je lui en avais fait la remarque. Elle le prit de haut de façon méprisante.

Alain Ruscio rappelle que, certes, la première déclaration officielle du bureau politique, huit jours après le 1er novembre 1954, ne prononce pas le mot « indépendance » mais évoque « la volonté de tout un peuple de vivre libre et de gérer démocratiquement ses propres affaires ». Par contre, Jacques Duclos, un des tout premiers dirigeants du parti le prononce dans un meeting dès le 5 novembre. Et il est vrai que le thème de la Paix, comme celui de l’intérêt national de la France et du coût exorbitant de la guerre furent mis en avant afin de pouvoir mobiliser nos compatriotes formatés par des décennies de martelage idéologique qui leur faisait croire que « L’Algérie c’est la France ». Ce n’était pas une concession opportuniste car nous expliquions que le seul moyen de faire la Paix était de reconnaitre l’indépendance de l’Algérie et pour cela de négocier avec son seul authentique représentant, le FLN (Front de Libération Nationale).

A l’issue de la présentation du livre par son auteur à Nîmes, dans la discussion qui suivit, je me suis étonné de l’affirmation suivante: « Est-ce que la nation algérienne comprend la population européenne d’Algérie ? On doit répondre par la négative à cette question. » (Pages 299 et 300), alors que la plate-forme de la Soummam du 20 août 1956 affirmait  (Chap III/A/3) :

« La Révolution Algérienne n’a pas pour but de « jeter à la mer les Algériens d’origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain.

La Révolution Algérienne n’est pas une guerre civile, ni une guerre de religion.

La Révolution Algérienne veut conquérir l’indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d’une même patrie, sans discrimination. »

C’est le torrent de sang versé durant près de huit années d’une guerre coloniale atroce menée par la France qui a creusé le fossé entre les diverses communautés. Mais sans les crimes de l’OAS qui ont chassé d’Algérie les Algériens d’origine européenne – 200 000 sont malgré tout restés - ceux-ci auraient eu toute leur place dans l’Algérie indépendante. Henri Alleg, Jacqueline Guerroudj, Fernand Iveton, Maurice Laban, Henri Maillot, Simone Peschard, Annie Steiner et tant d’autres, avaient chèrement payé le droit de demeurer dans ce qu’ils considéraient comme leur Patrie.

Un sujet fut également largement débattu : Quelle devait-être l’attitude des jeunes Français appelés sous les drapeaux et envoyés en Algérie ? Le PCF aurait-il dû les appeler à déserter ? Dans la tradition communiste, les jeunes membres du parti doivent accomplir leur service militaire afin d’apprendre le maniement des armes et incorporer l’armée en guerre pour y réaliser un travail de conviction auprès des autres soldats. Ce fut l’orientation du PCF. Ce n’était pas une solution de facilité car la répression était sévère et au combat on risquait une balle dans le dos. Quand Alban Liechti écrivit au président de la République pour l’informer de son refus de porter les armes contre le peuple algérien - c’était une décision individuelle – le PCF sur l’instant ne condamna ni n’approuva sa décision. Quand d’autres jeunes Français – dont Marc Sagnier d’Aigues-Mortes – prirent le même chemin, le parti organisa la solidarité, mais il faut reconnaître que cet exemple fut peu suivi. Par contre les exemples sont nombreux de refus du combat dans les djebels à l’initiative de jeunes soldats communistes ou progressistes et il est désormais reconnu que leur présence fut déterminante dans les années soixante pour s’opposer aux officiers putschistes.

Le lecteur découvrira au cours de ses lectures des aspects ignorés de l’action des Communistes en France et en Algérie. Ainsi, par exemple, du combat que le jeune Parti Communiste Algérien dut mener dans ses rangs conformément à la démarche de Marx contre une conception étroite et sectaire de la laïcité qui générait une méfiance à l’égard des Musulmans. Cette clarification  n’est-elle pas à poursuivre aujourd’hui en France ?

Le travail d’Alain Ruscio est d’une telle richesse que je ne me risquerai pas à tenter d’en faire à un compte-rendu exhaustif. Grâce à une documentation abondante (66 pages comportant plus de 1000 notes), c’est désormais un ouvrage de référence qui fera date.

Bernard DESCHAMPS

05 avril 2019

*Sylvain Boissier de Cardet, Narcisse Bolmont de Chamborigaud et Alexandre Molinier d’Aigues-Mortes.

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