Le club photo, Regards d’Aigues-Mortes, créé et animé par Françoise Martin et Isabelle Secrétan, présente ces jours-ci une magnifique exposition et, tandis que sonne le carillon de midi, sur cette place qui fut ma cour de récréation lorsque jeune instituteur j’avais ma classe au rez-de-chaussée de la mairie, je retrouve parmi les artistes exposés des noms qui évoquent pour moi des visages d’enfants : Aujoulat, Beaumer, Garcia, Servel…Dans mon souvenir, ils ont toujours huit ans.
Il pleuvait. Un violent orage s’était abattu sur la ville. Des torrents de boue avaient envahi les rues. C’est ainsi que, venant des Deux-Sèvres, il y a soixante-trois ans, je découvris Aigues-Mortes. Et j’en suis cependant tombé amoureux, sans jamais depuis m’être départi de cet amour.
J’aime cette ville, ses remparts, ses étangs, ses taureaux déboulant de la majestueuse Porte de la Reine lors des abrivado de la Foire d’Octobre.
Je devrais honnir ces remparts bâtis par le roi Croisé, Louis le neuvième, et pourtant je les aime. Changeants comme le visage d’une femme. De pierres grises comme le miroir immobile des étangs sous un ciel d’hiver. Parés d’or sous le soleil. Teintés de vert tendre comme les voyait le peintre Frédéric Bazille en 1867. Soulignant d’ombres, le soir venu, les marques gravées par les tâcherons qui ont taillé ces pierres. Solides, immobiles, bravant les siècles, ayant survécu à toutes les guerres, à toutes les révolutions. Ils sont la France avec ses ruptures et sa continuité. La Monarchie et la République. A quelques pas de la Place Saint Louis, la rue de la République prolonge la rue du Quatre septembre et il n’est pas anodin que l’on pénètre dans la ville par la Place Anatole France. Que nous le voulions ou non, nous sommes les résultantes de cette histoire et la fleur de Lys, comme nos trois couleurs et le drapeau rouge de la Commune de 1871, parlent à mon cœur. J’y ajoute aujourd’hui le vert de l’Islam.
Derrière les pierres, il y des hommes et des femmes. Il y a SURTOUT des hommes et des femmes ! Plusieurs civilisations y ont laissé leur empreinte. Aux descendants des bagnards employés à la récolte du sel, se sont agglomérés des Cévenols, des Gitans, des Italiens, des Espagnols, maintenant des Arabes et, dans cette ville longtemps isolée sur laquelle veillait, sentinelle avancée au milieu des marais, la Tour Carbonnière, les mariages consanguins furent la règle. Ainsi les Aigues-Mortais sont presque tous parents et ce sont des surnoms qui distinguent les différentes branches d’une même famille : le grand, le petit, le fiou ; le riche, le cacao …Ce métissage est sans doute, au plus profond de moi-même, la véritable raison de mon affection pour cette population. C’est ainsi que je lis – mais ce n’était peut-être pas son intention - la décoration des vitraux de l’église Notre-Dame des Sablons par Claude Viallat. Ces taches de couleurs, vertes, bleues, rouges, jaunes, qui enchantent cette église du XIIIe siècle.
Aujourd’hui, les voitures garées côté nord insultent les remparts. Heureusement, le côté sud a conservé son aspect herbeux de glacis militaire. Mais les macreuses ont déserté les étangs dont je ne perçois plus les effluves si singuliers…Nostalgie !
Bernard DESCHAMPS
08 mars 2019
(Tableau des Remparts d'Aigues-Mortes par Frédéric Bazille)