par Jacques Fath
(avec l'autorisation de l'auteur)
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Après 20 ans de chavisme, Washington est ses alliés estiment que le moment est venu de porter un coup décisif.
La confrontation politique porte d’abord sur les élections présidentielles du 20 mai 2018. Les résultats officiels donnent près de 68 % des voix à Nicolas Maduro, ainsi réélu pour 6 ans, 21 % à Henri Falcon (ex- chaviste), et environ 10 % à Javier Bertucci, pasteur évangélique ultra-conservateur. L’abstention atteint un niveau particulièrement élevé et dépasse les 53 %.
L’argument des opposants (vénézuéliens ou non) à Maduro repose essentiellement sur l’affirmation d’une illégitimité du scrutin. Qu’en est-il ? Il est difficile d’affirmer, comme on le fait à Washington et ailleurs, que les résultats de ce scrutin devraient être rejetés car dans les faits il n’y a ni preuve explicite, ni analyse convaincante qui puisse confirmer sérieusement l’illégalité des résultats. La déclaration officielle des autorités françaises, en date du 23 mai, le montre qui fait simplement état de leurs « doutes ». Cette déclaration qualifie l’élection vénézuélienne de « non représentative ». Ce qui ne veut pas dire truquée avec des résultats falsifiés. Les mots ont un sens. Cela confirme une réalité d’évidence : un contexte politique problématique, profondément troublé et très tendu.
Au lendemain de la présidentielle, la France ne condamne ni l’élection, ni les autorités du Venezuela. Elle affirme cependant que ce scrutin ne peut être considéré comme légitime et crédible en raison du taux de participation historiquement faible. Une abstention majoritaire à près de 54 % révèle effectivement un problème réel. Et l’abstention vénézuélienne a ses causes : le boycott à l’appel de la principale coalition d’opposition, et une situation économique et sociale très difficile, au multiples et graves conséquences, qui marque durement la vie quotidienne, en particulier celle des couches populaires.
Mais peut-on condamner l’élection en elle-même du fait de son contexte ? Et alors, que dire à propos des élections en France ? Pour les Européennes le taux d’abstention est supérieur à 53 % depuis 1999, avec un pic à 60 % en 2009. Aux législatives de 2017, l’abstention atteint 51 % au premier tour et 57 % au second (!). Aux régionales de 2010 et 2015, elle atteint ou dépasse les 50 %. Même chose pour les départementales de 2011 et 2015. Faut-il considérer tous ces scrutins comme non légitimes et non crédibles ? Et affirmer, par exemple, que la majorité LREM au service du Président Macron est illégitime ? Où est la cohérence ? Où sont les principes ? Où est l’honnêteté ?
Pour certains commentateurs, le bulletin de vote vénézuélien « n’a guère de sens ». Non pas que les citoyens n’aient pas pu voter… puisque, comme le souligne le quotidien Le Monde, « les électeurs qui se sont déplacés votent tranquillement, les machines électroniques fonctionnent ». Ce qui compte et poserait problème, explique Le Monde (1) et d’autres médias, c’est le « carnet de la patrie » et les « points rouges », c’est à dire des tentes ou « stands » installés non loin des bureaux de vote. Chaque électeur peut – après avoir voté – aller y toucher un bon donnant droit à une aide en faisant valider et scanner son carnet. Pour ses détracteurs, ce système fonctionnerait donc comme un moyen de contrôle du choix de chaque électeur. Sauf qu’avec ce système, rien ne prouve pour quel candidat l’électeur a voté dans l’isoloir. C’est toujours Le Monde qui le souligne. Mais là encore, où est la vérité alors que 150 observateurs internationaux du scrutin (dont ceux du Conseil des experts électoraux d’Amérique latine) ne confirment en rien les accusations portées contre ce système des « points rouges ».
La confrontation politique a changé de dimension et de nature
Ceux qui prétendent qu’au Venezuela « le vote n’a guère de sens » cherchent à nourrir la thèse d’un régime où les élections ne servent à rien puisqu’il s’agit, selon eux, d’une dictature. Une dictature que l’on affuble, selon l’inspiration, de différents noms d’oiseaux. La palme revient à un certain François Brousseau, éditorialiste pour le quotidien « Le Devoir », au Canada, pays où se réunira le Groupe de Lima (2) lundi 4 février, à Ottawa. Brousseau écrit que « cette crise est la phase terminale du socialisme du 21ème siècle, variante singulière du capitalisme d’État autoritaire, avec une véritable mafia au pouvoir »(3). Cette formulation contient et amalgame tout ce qui se présente comme comme épouvantails idéologiques dans le monde anglo-saxon (et au delà) : socialisme, autoritarisme, mafia… La volonté de diabolisation maximum est devenue tellement éclatante (et pas seulement au Canada) qu’elle pourrait faire sourire en raison de sa véhémence et des dérives qu’elle suscite. Mais ce manque de sérieux est cependant significatif qu’on est passé à une autre phase de la crise vénézuélienne. D’abord dans sa dimension. Elle est maintenant complètement portée au plan international. Les États-Unis ont voulu qu’elle soit traitée au Conseil de Sécurité de l’ONU… ce qui a permis, contre leurs propres calculs, de montrer que le Venezuela de Nicolas Maduro est moins isolé qu’on ne le dit. Mais surtout, la confrontation politique change de nature. Le Secrétaire d’État américain Mike Pompéo l’a montré en utilisant une expression dont on saisira aisément la finesse politique : « vous devez choisir votre camp ». Cela nous rappelle le « vous êtes avec nous, ou bien vous êtes contre nous » de Georges W. Bush après le 11 septembre. Ce fut alors le signal d’une sorte de guerre sainte, une croisade (le mot fut employé).
C’est bien ce dont il est question aujourd’hui, contre le Venezuela et le chavisme. Un Venezuela en crise et en grande difficulté. Il n’est plus question de faire dans la dentelle. Il faut saisir le moment d’opportunité et frapper fort. Les élections et la démocratie ne sont plus que des prétextes et des situations de convenance pour déguiser un « regime change » (comme on dit en français) ou un véritable coup d’État, en issue politique soit disant légitime… Ce que l’on peut constater c’est que les États-Unis, avec la bourgeoisie, la droite et l’extrême-droite vénézuéliennes, et tous ceux qui les soutiennent, considèrent, après 20 ans de chavisme, après 20 ans d’affrontements politiques et institutionnels, 20 ans de confrontation de classe, 20 ans de tentatives de déstabilisation économique et politique avec y compris une tentative de coup d’État en 2002… que le moment est enfin venu de porter un coup décisif à un régime qui a porté comme référence et comme vision d’avenir, le socialisme, la justice sociale, l’attention aux plus pauvres, la réforme agraire, le défi au FMI et à la Banque mondiale, l’opposition à la domination impériale des États-Unis, la solidarité latino-américaine, le soutien à Cuba… Pour Trump et pour ceux qui l’ont précédé, ça fait effectivement beaucoup. Mettez vous à leur place.
D’où l’agressivité de bien des gouvernements de droite en Amérique latine. D’où l’attitude de quelques pays européens dont la France qui se permettent d’adresser un ultimatum à Maduro. Emmanuel Macron tweete le 26 janvier : « sans élections annoncées d’ici 8 jours, nous serons prêts à reconnaître Juan Guaido comme Président en charge du Venezuela pour enclencher un processus politique. » Un ultimatum, cela revêt un certain sens. Et pas n’importe lequel. C’est un acte qui sort les relations internationales des pratiques normales de la diplomatie. C’est un acte de force.
Le funeste parfum de l’irresponsabilité
Si Maduro n’obtempère pas et n’enclenche pas la processus politique « exigé », ce qui est le cas… que peut-t-il se passer ? Une montée brutale de la tension au Venezuela et sur le plan international ? La Russie et la Chine au Conseil de Sécurité ont, en effet, marqué leur opposition à la ligne de Washington. Une exacerbation de la violence ? Est-ce le but finalement recherché ? Va-t-on aller vers des affrontements armés élargis dans les rues de Caracas ? On nous répondra…mais non, il s’agit simplement d’obtenir de nouvelles élections. De cette manière ?.. et dans un tel contexte ? Un ultimatum a sa propre logique et ses risques d’engrenages. Il est consternant que la France ait pu accepter voire susciter une telle initiative. Cet ultimatum est un alignement politique de facto sur Washington et ses dangereuses prétentions impérialistes. De la part des autorités françaises, allemandes, britanniques et espagnoles c’est un choix dont le parfum d’ irresponsabilité nous fait sentir à quel point les relations internationales sont aujourd’hui gérées d’abord dans la brutalité et la carence de vision politique. C’est la logique de force, les diktats, le mépris du dialogue, des négociations possibles et du multilatéralisme qui dominent outrageusement. Nous assistons à la montée progressive de la sauvagerie dans l’ordre international.
Il est lamentable que les autorités françaises jusqu’au plus haut niveau, puissent y contribuer. Certains persistent pourtant à interpréter la politique étrangère d’Emmanuel Macron comme un « gaullo-mitterrandisme ». Ce concept n’a guère de sens sauf celui d’une hypocrisie (4). Il s’agirait d’accréditer l’idée d’une volonté d’indépendance et de liberté de choix sur les valeurs de la République. Mais où sont ces valeurs et cette liberté lorsque les choix français s’alignent sur ceux des États-Unis ? Que deviennent ces valeurs dans l’entretien permanent de relations privilégiées avec l’Égypte ou l’Arabie Saoudite ? En vérité, le rôle international de la France se précise dans un cumul d’affaiblissements, de cynismes et de dégénérescences politiques. Les autorités françaises se déconsidèrent en s’attaquant à un pays du Sud, aujourd’hui en difficulté, qui n’a cessé de vouloir montrer à son peuple, et au delà, que l’on peut faire autre chose qu’obéir aux règles du capitalisme et des puissances dominantes. Ce « nouveau monde » macronien ressemble furieusement à l’ancien.
Jacques Fath
1) « Au Venezuela, Nicolas Maduro proclamé vainqueur d’une présidentielle contestée », Le Monde, Rémy Ourdan, 21 mai 2018.
2) Ce groupe est constitué du Canada et d’une dizaine de pays d’Amérique latine opposés au Président Maduro.
3) « Venezuela, guerre froide », Le Devoir, François Brusseau, 28 janvier 2018.
4) Sur cette question, voir en particulier dans ce blog : « ONU: une Assemblée générale très révélatrice. Version longue et modifiée », 22 novembre 2017, https://wordpress.com/post/jacquesfath.international/1008