Lettre à L.
Samedi 15 septembre 2018
J’ai pris le train de 7h.54. Je roule vers Paris. Il y a longtemps que je n’étais pas allé à la fête de l’Huma et les souvenirs affluent. Fêtes mouillées le plus souvent, sous une pluie insistante. La boue dans les allées jusqu’à mi-mollet. Mais cette incroyable bonne humeur des Parisiens qui surprend toujours les Méridionaux habitués au soleil. Une ambiance sans égale de partage et de fraternité. Des visages que l’on n’oublie pas. Avec Georges Marchais et Johny Halliday sur la grande scène face à l’immense foule. Et au détour des allées des ami(e)s des camarades, Henri Alleg, Angela Davis et tant d’autres connu(e)s ou inconnu(e)s. De chaleureuses retrouvailles …
Je voyais en définitive peu de choses de la fête, rivé à ma tâche de recruteur, bulletins d’adhésion au PCF en main. Nous en réalisions alors des dizaines avec la certitude de construire l’avenir. Comme le maçon qui bâtit pierre à pierre sa maison. Nous étions persuadés que le changement de société était proche. Qu’en est-il aujourd’hui, alors que le dernier sondage nous crédite de 1,5% des intentions de vote pour les européennes ?
13h.
Pour accéder à la fête c’est un véritable parcours d’obstacles. Il faut naturellement acheter la vignette qui donne droit à l’entrée, mais, pour des raisons de sécurité, il faut désormais la valider sur internet et l’on reçoit un récépissé à imprimer et à présenter aux contrôles. Les bagages sont inspectés et nous subissons une fouille au corps. Enfin, je suis sur la Place Marcel Cachin où se pressent des grappes de participants souvent sac au dos avec parfois le matériel de camping pour dormir sur place. Des distributeurs de tracts appelant à la solidarité pour telle ou telle cause nous sollicitent. Grâce au plan encarté dans l’Huma Dimanche j’essaye de me repérer et bien évidemment je me perds. Pour aller au Village du Livre je prends une mauvaise direction et je marche. Qu’est-ce que l’on marche à la Fête de l’Huma en frayant son chemin dans une foule de plus en plus dense ! De l’avis général il y a plus de monde que l’an dernier. Est-ce en raison du soleil ou d’une situation politique qui évolue ? Ou les deux ?
J’arrive au Village du Livre où je suis invité pour « El Djazaïr, rencontres algériennes 2006-2016 ». Les hôtesses d’accueil (des camarades) vérifient mon accréditation, me remettent un badge à mon nom et m’accompagnent à la place qui m’est réservée. Mes livres sont déjà sur place. Ils ont été acheminés par la Librairie Diderot de Nîmes. Nous sommes 224 auteurs sous un immense chapiteau avec des emplacements réservés aux débats. L’organisation est remarquable. On nous offre même du café et des boissons rafraîchissantes. Je salue mes voisins dont Pierre Dharéville. A quelques mètres, le couple Pinçon-Charlot très sollicité. En face, Dominique Vidal. On se fait de loin un petit signe d’amitié. Je suis prêt pour accueillir les lecteurs…
On pourrait écrire un roman sur les regards des visiteurs qui circulent en rangs serrés devant nos tables. Il y a celles et ceux qui passent, les yeux fixés sur les noms au-dessus de nos têtes. Ceux-là ne nous voient pas. Nous sommes des ombres. Pour eux seuls comptent les noms cités par la presse. Ceux qui ne regardent que les livres et font la grimace en lisant El Djazaîr. Il y a une telle méconnaissance de l’Algérie que pour eux c’est évident je suis un « islamiste ». Et puis il y ceux et surtout celles qui s’arrêtent et engagent la conversation. Je dis celles car j’ai noté qu’il s’agit surtout de jeunes femmes, notamment de la 3e génération de familles algériennes vivant en France auxquelles les parents n’ont rien raconté et qui veulent savoir. Le livre d’Alice Zeniter, L’art de perdre est à l’évidence un indice de cette aspiration nouvelle et sans doute a-t-il aussi contribué à ce qu’elle s’affirme. Ces jeunes veulent savoir l’histoire de leur famille. Ils voudraient aussi connaître l’Algérie le pays de leurs ancêtres et la question qui m’est le plus posée est : peut-on y aller librement ? N’y-a-t-il pas des risques ? Ils sont surpris quand je leur dis qu’ils seront bien reçus et qu’il n’y a aucun risque.
Contrairement à ma région où beaucoup achètent le livre parce qu’ils me connaissent, ici c’est par intérêt pour l’Algérie elle-même qu’ils s’arrêtent et me questionnent. J’y ai fait de riches rencontres. Ainsi une jeune diplômée d’histoire de l’art qui connait Naget Khadda. Et ce Tchadien réfugié en Algérie qui a été admis à l’Ecole Nationale d’Administration gratuitement tous frais d’hébergement et d’étude payés.
La longue liste des invité(e)s dans leur diversité idéologique témoigne d’une évidente volonté d’ouverture de la direction de l’Humanité et de la Fête. De nombreux auteurs ne partagent pas forcément nos analyses mais leur contribution à la vie intellectuelle de notre pays n’en est pas moins utile. Sont par exemple présents, Ludivine Bantigny, Pascal Boniface, Chantal Mouffe, Gérard Noiriel, Patrice Pelloux, Aurélie Philipetti, Edwy Pleinel…C’est bien ainsi et cela illustre ce que sera à nos yeux la société communiste. Je fais une réserve en ce qui concerne l’auteur algérien Boualem Sansal dont les liens avec l’extrême-droite israélienne sont connus et qui s’inscrit avec son dernier livre, comme avec le précédent 2084, dans la croisade islamophobe du « grand remplacement »*
Cette diversité se retrouve au niveau des débats. Le programme en mentionne 229 : sur Macron, l'emploi, le populisme, la politique d’Israël, La Paix dans le monde, la psychiatrie, le drame des migrants, la Colombie, le Sahara occidental, etc, etc, et bien sûr Quel communisme ? Par contre, contrairement à l’an dernier – ce qui m’avait conduit à élever une énergique protestation - le MAK, l’organisation qui complote pour séparer la Kabylie de l’Algérie, n’est pas présent.
La sensibilité des Communistes aux problèmes du Monde s’est aussi manifestée vendredi par l’accueil de la jeune palestinienne Ahed Tamimi et par l’inauguration de la Place Maurice Audin avec une assistance considérable.
Dimanche, 10h.30
Je débute la journée au stand du PADS avec les communistes algériens où Zoheir Bessa, le directeur d’Alger républicain m’embauche pour éplucher les carottes du couscous que je dégusterai à midi.
Dans l’intervalle je m’entretiens avec les passants intéressés par mon livre et je fais la connaissance de Georges Salort, le fils de Jacques Salort arrêté en 1941 pour son action de résistance au vichysme et qui sera traduit devant le tribunal militaire d’Alger du 4 au 7 décembre 1957 dans le procès des Combattants de la Liberté, les maquis communistes. Georges me fait lire la déclaration rédigée par son père et que le tribunal lui refusa de prononcer. Je note quelques passages de ce beau texte d’une grande élévation de pensée :
« Je me sens Algérien de toutes mes fibres. […] Au moment de la victoire alliée sur l’hitlérisme, j’ai partagé l’espoir de tous les Algériens de voir une ère nouvelle de liberté s’ouvrir sur notre terre d’Algérie [...] Je suis fier d’avoir contribué de toutes mes forces à la libération de mon pays. » Il se prononce pour « l’intégration des Européens dans leur nouvelle patrie. » (la future nation algérienne indépendante, ndlr). « Sans distinction de race ni de religion. […] Nous ne sommes pas antifrançais, nous sommes anticolonialistes. » (Cette déclaration a été publiée intégralement dans l’édition électronique d’Alger républicain ( http://www.alger-republicain.com). Les CDL seront incorporés au FLN à partir d’un accord conclu entre le FLN et le PCA, afin de préserver l’unité de combat des patriotes algériens, le PCA conservant sa liberté d’expression.
L’après-midi, je serai à nouveau au Village du Livre où j’aurai encore de belles rencontres et je terminerai au stand du Gard où se produit un orchestre de jazz rock d'Alès qui met une ambiance « du feu de dieu ».
Au-delà de la qualité du programme culturel, politique, festif, c’est, en ces temps difficiles, l’atmosphère décontractée, de liberté, de joie et de fraternité qui fait le succès de cette fête, me disait Pierre Dharéville. Une parenthèse dans un monde dur, souvent cruel. Un moment de communisme, au fond.
Ce parti est décidément un mystère. Crédité de 1,5% des intentions de vote, il est capable de réunir 500 000 personnes durant 3 jours. Les média qui n’ont rien vu, rien entendu de ce qui se passait à La Courneuve feraient bien d’ouvrir les yeux et les oreilles. Ils risquent sinon d’avoir des réveils difficiles.
B.
*BOUALEM SANSAL
Non seulement l’auteur algérien proche de l’extrême-droite israélienne était invité au Village du Livre, mais une tribune lui était offerte dans l’espace Débats et l’Humanité du 6 septembre lui avait consacré une page d’interview sous la plume de Muriel Steinmetz dans laquelle, assimilant Islam et islamisme, il désignait sa cible : « l’islamisme lancé à la conquête du monde » et « la migration qui se transforme en colonisation ». Il y dénonçait : « …l’afflux des migrants, la multiplication des incivilités et des violences… » et au mépris de la vérité historique, il affirmait : « au temps de la Seconde guerre mondiale, les islamistes ne juraient que par le nazisme dont ils admiraient la philosophie et la finalité. », alors que Messali Hadj et le PPA-MTLD s’étaient désolidarisés des quelques éléments, peu nombreux, qui sous prétexte de lutter contre le colonialisme français, avaient fait allégeance au nazisme.
Bernard DESCHAMPS
18 septembre 2018