La situation au Mali
Le Monde diplomatique publie dans son numéro 772 de juillet 2018, une remarquable enquête du journaliste Rémi Carayol sous le titre « Au Mali, la guerre n’a rien réglé ».
Du 10 au 17 janvier 2013, la France intervenait militairement au Mali – c’était l’opération Serval – sous le prétexte de contenir l’avancée djihadiste vers la capitale Bamako. On se souvient des paroles prononcées alors par le Président Hollande : « Je viens sans doute de vivre le plus beau jour de ma vie politique" et il ajoutait que la France resterait au Mali le temps qu’il faudra pour « l’accompagner économiquement »
Depuis cinq ans, la France y maintient quelque 4 000 hommes surarmés épaulés par les 11 700 Casques bleus de la Minusma. Loin d’apporter la paix cette présence a aggravé la situation du pays. Le constat est terrible : « Largement élu à la tête du pays en août 2013, M. Ibrahim Boubacar Keïta (surnommé «IBK ») leur avait promis le retour d’un Etat fort. Cinq ans plus tard, alors qu’il se représente pour un second mandat à l’élection présidentielle du 29 juillet, rien ne dit que le scrutin pourra se tenir sur l’ensemble du territoire : il dirige un pays en lambeaux. »
Le développement économique promis n’est pas au rendez-vous. Pire, l’agriculture, l’élevage et l’ensemble de l’économie traditionnelle ont été désorganisés par des décisions étatiques ineptes. L’administration a déserté : « les djihadistes ont apporté aux éleveurs une forme d’ordre et de sécurité que l’Etat ne leur assurait pas. »
L’ancien diplomate, M. Cheick Oumar Diarrah, porte le jugement suivant : « Nous sommes en présence de populations qui rejettent l’injustice et l’absence de solidarité. C’est facile de les appeler « djihadistes », cela nous dispense de réfléchir à ce qu’elles sont vraiment et au mal qui gangrène notre pays. »
Ce mal a un nom, le néolibéralisme et une réalité, le pillage des richesses des anciennes colonies par des groupes financiers et industriels mondialisés.
Vous trouverez ci-après, ce que j’écrivis le 12 janvier 2013, lors de l’intervention militaire française.
Bernard DESCHAMPS
1er juillet 2018
JE DESAPPROUVE L’INTERVENTION MILITAIRE DE LA FRANCE AU MALI.
Voilà ce que je redoutais. (voir sur ce blog, mon article du 7 janvier, « Un nouvel âge… » ?). François Hollande fait intervenir l’armée française au Mali. La résolution 2085 (Point 10) du conseil de sécurité de l’ONU, qui certes n’excluait pas une telle éventualité, préconisait en priorité, comme le souhaitait l’Algérie, la poursuite des négociations afin de parvenir à une solution pacifique. Forte de son expérience dans la lutte contre le terrorisme, acquise au prix du sang versé pendant la décennie noire, l’Algérie était parvenue à convaincre deux des quatre groupes de la rébellion touareg, le MNLA et Ançar Dine, qui acceptaient de déposer les armes et de négocier avec Bamako. Mais le Président par intérim du Mali, imposé par la CEDEAO que préside Alassane Ouattara, la créature de Sarkozy, en tergiversant a fait échouer l’accord, donnant ainsi la possibilité aux occupants du Nord-Mali de reprendre les hostilités. Les déclarations de Laurent Fabius qui a toujours considéré Ançar Dine comme le « faux nez » d’AQMI et affirmé ses intentions belliqueuses, de-même que la volonté affichée de Jean-Yves Le Drian d’intervenir dès le premier trimestre 2013, faisaient craindre une telle opération. Sans attendre la constitution de la force militaire de la CEDEAO (pays de l’Afrique de l’Ouest), la France s’est engagée seule avec l’armée malienne, témoignant ainsi de sa volonté de maintenir son leadership sur les pays qu’elle considère de son pré carré et dont elle exploite ou convoite les richesses (le Mali, « un des pays les plus riches du continent noir » recèle dans son sol et son sous-sol, des réserves importantes d’or, de phosphate, de bauxite, de pétrole…). La France coloniale rêve en outre depuis longtemps de disposer d’une base militaire dans la région, en Algérie ou au Mali.
Ainsi, après la Côte d’Ivoire et la Libye, c’est maintenant au tour du Mali. Certes le langage de François Hollande n’est plus celui de Sarkozy. Il n’a pas hésité à condamner le colonialisme de « papa », les 19 et 20 décembre en Algérie, pour aussitôt manifester la même volonté de domination néocoloniale. Les prétextes invoqués pour intervenir militairement n’ont, par contre, guère changé depuis les siècles précédents : hier pour défendre les missionnaires chrétiens ou se protéger des « razzias »; aujourd’hui pour lutter contre l’islamisme. Et toujours au nom de la mission civilisatrice de la France, berceau des Libertés.
Comme en Libye, cette nouvelle aventure militaire est grosse de dangers pour l’ensemble de la région. D’une part elle ne résout pas les problèmes du sous-développement du Mali et des pays du Sahel, ni les revendications des Touaregs et elle est un facteur aggravant de l’instabilité des pays du champ. Loin de faire reculer le terrorisme islamiste, elle ne peut que nourrir les ressentiments de la population contre la France et les pays occidentaux et fournir ainsi un terrain favorable au terrorisme. L’Algérie qui a payé un si lourd tribut dans les années 90 et rétabli la paix est de nouveau directement menacée en raison de la difficulté à sécuriser 1 400 km de frontière commune avec le Mali, en plein désert.
Regardez la carte ci-contre. Nombreux sont les Algériens qui pensent qu’une manœuvre d’encerclement de l’Algérie est en cours, par des pays désormais sous influence occidentale : le Maroc, la Libye, le Mali. Et si, in fine, l’Algérie était la cible privilégiée en raison de ses ressources, de son potentiel humain et de sa volonté de préserver sa souveraineté ?
Bernard DESCHAMPS, 12/01/2013