Le 50e anniversaire de la Révolution d’Octobre 1917 a été l’occasion de nombreuses publications et d’une évaluation critique de ces journées « qui ébranlèrent le monde » et du rôle de Wladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine.
Les communistes français ont tenu une place honorable dans cette floraison éditoriale. Citons brièvement (au risque d’en oublier) : un Cahier spécial du journal l’Humanité; le n°2 de Cause commune; la revue d’action politique du PCF; Octobre 1917 par Lucien Sève.
Je voudrais m’arrêter un instant sur l’ouvrage (Les éditions sociales, Paris, août 2017) du philosophe Lucien Sève qui pointe un certain nombre de contrevérités publiées en cette circonstance. Les vieux communistes gardois ont bien connu Lucien Sève qui a habité notre département où il avait épousé Françoise la fille de notre camarade Jean Guille, proviseur du Lycée Alphonse Daudet de Nîmes dans les années 60 et adjoint communiste du maire Emile Jourdan. Lucien Sève a été membre du comité central du PCF de 1961 à 1994. Il a démissionné du parti en 2001, mais il est toujours communiste – sinon encarté – du moins de cœur et de raison.
Il prend d’abord la précaution de rappeler que le léninisme est « totalement dépassé que ce soit en matière de stratégie ou d’organisation » (P.28) Les conditions de l’époque n’étant pas celles d’aujourd’hui. Il reste qu’une appréciation objective est nécessaire à notre combat actuel. Plusieurs auteurs affirment que la Révolution d’Octobre fut le fruit d’un « coup d’Etat »; que Lénine était contre les « compromis » et que « l’exercice de la terreur comme instrument central au service du projet politique léniniste est énoncé avant même le déclenchement de la guerre civile et il est assumé comme programme d’action, qui se veut, il est vrai, transitoire. »(Nicolas Werth). Autrement dit, les crimes de Staline seraient en germe chez Lénine, voire chez Marx. Le but est bien évidemment de discréditer l’action des communistes d’hier et d’aujourd’hui.
En 122 pages, faciles à lire, Lucien Sève démontre, preuves à l’appui, que dans de nombreux textes et notamment dans La maladie infantile du communisme, Lénine a combattu vigoureusement ceux qui affirmaient « jamais de compromis ». La question étant d’apprécier cas par cas si tel ou tel compromis est utile ou non. Il rappelle également les efforts persévérants de Lénine en faveur d’un passage majoritaire et pacifique à la société nouvelle. Ce n’est que lorsque le gouvernement russe et les gros possédants s’engagèrent dans une répression féroce du mouvement populaire qu’il se résolut à appeler à l’insurrection armée. Durant les 7 années au cours desquelles il dirigea le jeune Etat soviétique (1917-1924), il fut contraint d’utiliser la violence pour s’opposer au déchaînement meurtrier de la contre-révolution épaulée par les armées des Etats occidentaux coalisés. Mais contrairement à Staline, il le fit avec mesure, limitant les exécutions aux criminels avérés. A la fin de sa vie, il mit d’ailleurs en garde le PCb contre les défauts de Staline. Il est intéressant de se remettre en mémoire ces textes que reproduit ce petit livre de Lucien Sève. Petit mais décapant au sens ou l’entend l’ébéniste qui débarrasse un vieux meuble de la crasse qui cache la beauté du bois. Staline, selon Lucien Sève n’est donc nullement en germe chez Lénine. On notera sur ce point sa divergence avec Gérard Streiff qui, dans Cause commune, affirme : « [les] dérives démocratiques sont néanmoins en germe dans l’attitude méfiante de Lénine à l’égard du « juridisme bourgeois »(P.18) Lucien Sève souligne cependant les limites de la réflexion léninienne notamment au sujet de l’Etat, dans L’Etat et la Révolution. Il consacre plusieurs pages à la question : fallait-il aller au pouvoir en 1917 ? Lénine a répondu OUI, tout en ayant conscience de l’immaturité historique de la Russie d’alors. Mettre en œuvre « à chacun selon ses besoins » présuppose que les moyens de production le permettent. Ce qui n’était pas le cas dans les conditions d’arriération économique du pays. Le communisme, c’est dans même temps la disparition de l’Etat qui implique « le développement multilatéral de tous les individus des deux sexes, devenant capables de prendre directement en mains toutes leurs affaires - le communisme est l’autogestion citoyenne généralisée.» (P.110)
Quand la majorité du peuple l’a décidé, faut-il malgré tout refuser d’aller au pouvoir si les conditions pour mettre en œuvre la politique nouvelle ne sont pas réunies ? Délicate et angoissante question. Pensons à la Commune de Paris de 1871 et plus près de nous au cas de la Grèce. Lucien Sève rappelle cette réflexion de Marx en 1850 : « C’est un drame pour les communistes d’arriver au pouvoir trop tôt. »(P. 115). Mais les conditions idéales seront-elles jamais réunies ?
L’étude des textes de Lénine est encore singulièrement utile aux révolutionnaires d’aujourd’hui et je rappelai récemment à propos de la Catalogne, combien sa polémique avec Rosa Luxembourg (février-mai 1914) est source de réflexion. (Sur ce blog, AU FIL DES JOURS…(72) du 2 octobre 2017.)
Bernard DESCHAMPS
27/01/2018