La situation des migrants subsahariens en transit vers l’Europe suscite émotion, inquiétudes et interrogations en Algérie et à l’extérieur parmi ses amis. Des propos virulents sont échangés tandis qu’une partie de la population s’émeut de la présence de plus en plus nombreuse de mendiants africains dans les rues.
Une affaire fait beaucoup de bruit en Algérie. Le scandale est venu d’une directive diffusée par les autorités de la wilaya de Mostaganem.
Dans ce document qui se réclame d’une circulaire ministérielle, les chauffeurs de bus et de taxis de longs trajets sont informés qu’il leur est désormais interdit de transporter des « migrants illégaux ». Ceux qui contreviendraient à cette règle se voient menacer de « retrait de permis de transport. »
Cette directive ne mentionne pas explicitement les « Noirs », mais les « migrants illégaux »
Datée du 24 septembre, elle a immédiatement fait réagir sur les réseaux sociaux et dans la presse algérienne. Nombreux sont ceux qui ont dénoncé un texte qui vise selon eux les migrants originaires d’Afrique subsaharienne.
Voici ce qu’écrivaient il y a quelques jours deux quotidiens nationaux, l’un de l’opposition, El Watan, l’autre, L’Expression, considéré comme plutôt proche du pouvoir.
El-Watan, le 30.09.17
« La seule loi qui condamne l’entrée, la circulation, le séjour et la sortie du territoire, de façon irrégulière d’un étranger, est la loi 08-11 du 25 juin 2008. Mettre en application une partie de ce texte de loi, uniquement sur la personne du migrant irrégulier, c’est-à-dire en grande partie sur le migrant originaire de l’Afrique subsaharienne, devient une discrimination officielle en droit. »
L'Expression du 30 Septembre 2017 :
« Le ministère des Transports et des Travaux publics a expliqué par le biais d'un communiqué, que la directive impliquant l'interdiction aux chauffeurs de bus et de taxi de transporter les migrants illégaux, est une «erreur» […] Le ministère des Transports intervient en soulignant que la directive a été mal interprétée et qu'il s'agit en fait, d'appliquer des mesures légales de réglementation dans les transports publics. »
Que dit la loi 08-11 du 25 juin 2008 ?
La législation algérienne portant sur l’entrée, le séjour et la circulation des étrangers en Algérie est restée inchangée de 1966 à 2008. Constituée de 52 articles, cette loi est assez sévère quant à la pénalisation de la migration irrégulière, autant pour le migrant que pour le trafiquant, le transporteur, l’employeur, les complices et le logeur.
Tout étranger en transit ou l’étranger qui bénéficie des dispositions des conventions internationales ou d’accords de réciprocité est dispensé du visa consulaire. C’est le cas des Maliens, par exemple.
« Art. 24 – L’étranger circule librement sur le territoire algérien sans porter préjudice à la tranquillité publique, dans le respect des dispositions de la présente loi et des lois de la République.
Art. 25 – Les ressortissants étrangers doivent être en mesure de présenter les pièces ou documents justificatifs de leur situation, à toute réquisition des agents habilités.
Art. 26 – Les services de sécurité peuvent saisir provisoirement le passeport ou le document de voyage des étrangers en situation irrégulière. Un récépissé valant justification de leur identité leur est délivré jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur situation. »
La nouveauté de cette loi ne repose pas seulement sur l’aggravation des peines mais aussi sur, au moins, trois actions.
Les pouvoirs des walis sont renforcés :
« Art. 36 – Sauf régularisation de sa situation administrative, l’étranger qui entre illégalement en Algérie ou qui se trouve en situation de séjour irrégulière sur le territoire algérien peut être reconduit aux frontières par arrêté du wali territorialement compétent. »
La création de “centres d’attente” :
« Art. 37 – Il peut être créé, par voie règlementaire, des centres d’attente, destinés à l’hébergement des ressortissants étrangers en situation irrégulière en attendant leur reconduite à la frontière ou leur transfert vers leur pays d’origine. Le placement d’un étranger dans ces centres peut être ordonné par arrêté du wali territorialement compétent pour une période maximale de trente (30) jours, renouvelable en attendant l’accomplissement des formalités de sa reconduite aux frontières ou son rapatriement vers son pays d’origine»
L’Algérie a réajusté son Code pénal pour lutter contre les migrations irrégulières. Il vise également à pénaliser “el harg”, c’est-à-dire la tentative de rejoindre illégalement les côtes européennes par la mer.
Cette loi est censée adapter la législation algérienne aux différentes conventions, traités et protocoles dont l’Algérie est signataire.
L’épisode regrettable de la directive de Mostaganem révèle des flottements au sein du gouvernement dont les ministres ont semble-t-il des approches diverses auxquelles le souvenir douloureux de la décennie noire n’est pas étranger. A l’évidence à partir de ce trouble, certains milieux en Occident en ont profité pour jeter de l’huile sur le feu.
Le Processus de Rabat
Il convient de rappeler que l’Algérie n’est pas signataire du Processus de Rabat initié par l’Union Européenne, mais elle y siège en qualité d’observateur.
Le « Processus de Rabat » a pour objectif de créer un cadre euro-africain de dialogue et de consultation au sein duquel sont mises en œuvre des initiatives concrètes et opérationnelles afin de poursuivre, à la demande de L’Union européenne, une politique de prévention et de réduction des flux croissants de migrants en situation irrégulière depuis l’Afrique sub-saharienne vers l’Europe. Les ministres de plus d’une cinquantaine de pays d’origine, de transit et de destination se sont réunis dans ce but pour la Première Conférence Euro-Africaine sur la Migration et le Développement à Rabat les 10 et 11 juillet 2006 et ont adopté à cette occasion un Plan d’action. Plusieurs autres rencontres ont eu lieu par la suite, notamment le 27 Novembre 2014 à Rome lors de la 4ème Conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement qui s’est conclue par l'adoption de la Déclaration de Rome et de son annexe, le Programme de Rome.
L’Algérie participait à cette conférence en qualité d’observateur. Elle n’est pas signataire de la Déclaration de Rome qu’elle n’approuve pas.
L’Algérie accueille à l’hôpital de Djanet les patients des pays riverains.
Pour faire face aux infiltrations jihadistes, l’Algérie sécurise ses 6 343 km de frontières comme j’ai pu personnellement le constater, notamment aux frontières avec le Maroc, la Tunisie et avec la Libye et le Niger dans le Tassili. C’est également le cas ailleurs. Dans le même temps elle continue d’accueillir à l’hôpital de Djanet dans l’Extrême-Sud à la frontière libyenne, des patients des pays limitrophes.
Bernard DESCHAMPS
22/11/2017