Livre étonnant (Seuil, août 2017) qui m’a procuré un plaisir rare de lecture. Ce roman autobiographique composé à partir des archives familiales miraculeusement conservées par Monne (Simonne), la tante de l’auteur, a pour point de départ Le Lazaret de Mindin à l’extrémité de l’estuaire de la Loire « dont la porte en pierre dresse au-dessus du fleuve son arc de triomphe modeste et sa grille à deux vantaux », où Patrick Deville a vécu ses huit premières années au milieu des fous. L’un d’eux était son ami dont le balancement d’avant en arrière était rythmé comme un métronome par les quatre syllabes taba-taba.
C’est un voyage dans le temps et l’espace. Un télescopage d’une étonnante virtuosité des lieux et des époques, des faits infimes de la vie courante et de l’histoire de l’humanité. « …tel cet historien, selon Fénelon, qui ne serait « d’aucun lieu ni d’aucun temps » […] je tentais de saisir la simultanéité du monde" nous dit l’auteur page 204.
Au gré de son humeur, des évènements du monde et dans sa course poursuite des « petites traces » de la famille, « La ritournelle des éphémérides » fait se chevaucher les années et les évènements. Grâce à son Tapis volant, on voyage du Caire où est née l’arrière grand’mère « la petite fille en blanc » à Soissons où vont échouer les parents; de l’avance allemande de 1914 à l’exode de 1939; de Soissons à Moissac; du Mexique à Varsovie; de l’avenue Didouche Mourad à Alger au Nicaragua où Patrick Deville apprend la tuerie de Charlie hebdo; l’incendie en 1942 du Normandie dans le port de New York côtoie le départ de Paul son père en 1943 pour un maquis FTPF du Lot; de Paimboeuf on saute à Bamako ; du Costa Rica au Sénégal ; de Mossoul au Tassili n’Ajjer ; de Saint-Nazaire à Tombouctou; de l’Aubrac à l’opération Barkane au Mali et ainsi de suite.
Et tout ceci dans un bonheur d’écriture qui multiplie les curiosités comme ce « ciel pignoché d’or » (P. 402).
Et taba-taba qui « s’était assis au fond du cerveau » du jeune enfant, qui est-il ? D’où vient-il ? Comment a-t-il échoué à l’hôpital psychiatrique de Mindin ? C’est un mystère autour duquel Patrick Deville va échafauder diverses hypothèses. « Et cet homme perdu, assis à longueur de journée sur les marches de la porte monumentale, pouvait être un combattant rescapé des tueries malgaches, un criminel de guerre devenu fou, que les hasards des routes maritimes et des liaisons neuronales défaillantes avaient abandonné à l’échouage du Lazaret pour qu’il devint mon camarade. » (P.427) « C’était l’hypothèse la plus romanesque ». C’est celle que retient Patrick Deville.
A contre-courant des replis nationalistes, ce roman, à l'instar de l'Histoire mondiale de la France de Patrick Boucheron, inscrit l'histoire familiale dans la marche du Monde.
Si j’en avais le pouvoir, je décernerais volontiers le Goncourt à Taba-Taba.
Bernard DESCHAMPS
04 octobre 2017