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28 octobre 2017 6 28 /10 /octobre /2017 18:36

  

Dans ce monde qui nous apparaît « désorienté », cruel, à l’avenir incertain, nous sommes en recherche. Chacune/chacun à partir du territoire géographique, mental ou intellectuel qui est le sien. Les penseurs africains du continent ou de la diaspora nous proposent leur propre vision et nous invitent à la réflexion.

   C’était le sujet du Colloque  qui s’est tenu au Sénégal du 28 au 31 octobre 2016 et dont les actes Ecrire l’Afrique-Monde sont édités par les Ateliers de la pensée sous la direction de Achille Mbembe et de Felwine Saar, chez Philippe Rey|Jimsaan, juin 2017.

Mais qu’est-ce que l’Afrique ?

« Disposant à ce jour de 97% des réserves mondiales [ de cuivre], de 80% de celles de coltan, de 50% de celles de cobalt, de 57% de celles d’or, de 20% de celles de fer et de cuivre, de 23% de celles d’uranium et phosphate, de 32% de celles de manganèse, de 41¨de celles de vanadium, de 49% de celles de platine, de 60% de celles de diamant et de 14% de celles de pétrole. L’Afrique compte 200 millions de jeunes 15 à 24 ans, soit 20% de sa population. Ces jeunes sont 36,9% de la population active mais aussi 59,5% du total des chômeurs. »(P.252) Ce «Continent est de plus en plus multiculturel, multiracial, diasporique et cosmopolite. » (P.391)

  Les vingt et un intervenants, universitaires de diverses disciplines, créateurs, romanciers,  plasticiens, pour la plupart  Africains, vivant et travaillant en Afrique ou en Occident dont les approches sont souvent « divergentes, contradictoires, voire irréconciliables.» (P.381) furent cependant presque unanimes  quant à la responsabilité des dominations coloniales et néocoloniales.

De quoi l’universalisme est-il le nom ?

   Il faut mesurer les effets dévastateurs de la domination coloniale, en perte de   « l’estime de soi », « Lorsque le plus fort nous a imposé de renoncer à soi pour endosser sa propre culture […] Nous a dépossédés du pouvoir de se nommer soi-même, nous privant alors de  « ce qui en tout homme est possibilité, promesse d’accomplissement de l’homme » nous dit une jeune philosophe citant le poète Jean Amrouche. (P.222).  Ces cultures, niées, dévalorisées, effacées souvent, ne doivent-elles pas être réinterrogées, réévaluées  par les Africains eux-mêmes en se préservant des  « ruses de la colonialité […] un dispositif de pouvoir né avec la colonisation historique, […] dont la forme se perpétue au-delà des décolonisations historiques » et qui imprègnent les théories économiques et politiques échafaudées à l’Ouest et qui sont souvent conformes aux intérêts des anciennes puissances coloniales  ?

  Ils ont stigmatisé « l’hégémonie longtemps exercée par le discours occidental sur presque tous les pans du savoir humain et de la culture. » (P.9). « Dans le cas du colonialisme, l’établissement de cette emprise prit deux formes : la destruction ou la dévalorisation systématique de la culture des colonisés, de leur art, de leurs danses, de leurs religions, de leur histoire, de leur géographie, de leur éducation, de leur littérature écrite ou orale – et inversement la glorification incessante de la langue du colonisateur. » (P.222.)

  Certains ont dénoncé l’exploitation humaine, le pillage colonial des ressources naturelles.

  La prétention de l’Occident à l’universalisme est l’expression de cette domination. Il a servi et sert aujourd’hui encore de cache-sexe aux expéditions et aux conquêtes coloniales. Comment dès lors le « décoloniser » ?

   Faut-il lui comme l’ont proposé plusieurs auteurs lui opposer un autre universalisme, en l’occurrence un universalisme africain en considération de ce que « le futur de la planète se joue en grande partie en Afrique » ? Ou bien convient-il de rompre « avec le souci douteux de l’universel » (63) et ne  concevoir l’universalisme que dans la diversité et la complémentarité des cultures à l’opposé d’une construction abstraite et désincarnée ? Ce n’est pas une question simple et elle fit débat.

    Quelle place faut-il accorder à la culture, aux traditions africaines ?  «La conclusion générale à laquelle nous sommes parvenus est claire – nous dit un philosophe présent– il existe un langage traduit par les gestes, les récits, les mythes, les modes de vie, les attitudes et les pratiques quotidiennes qui sont révélateurs d’une culture forte, d’un système cognitif et d’un rapport particulier au monde. Tel est le noyau créateur des cultures africaines qui continuent d’animer les attitudes et les comportements… » (P.204)

      Mais n’y a-t-il pas le risque, ont fait remarquer plusieurs intervenants, que « La revendication d’un paradigme « africain » des sciences sociales  […] s’avère dangereux si elle devait se faire sur la base des thèses nativistes, nationalistes de  « l’indigénité » (P.390)  « Penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes n’est jamais s’interdire certains savoirs ou certains auteurs au nom du propre. En matière de savoir, il n’y a pas de propre»  (P.77)

 « Il n’y aura (donc) d’Afrique que créée » (8)

     Plusieurs auteurs ont affirmé avec force : « Nous voulons que nos sociétés s’élèvent à un degré supérieur de développement, mais d’elles-mêmes, par croissance interne, par nécessité interne, par progrès organique, sans que rien d’extérieur ne la compromette ». « Une pensée des Africains sur l’Afrique, émancipée des postures idéologiques, éclairante, programmatique qui part d’une analyse lucide et  réaliste des problèmes du Continent » (P.133) 

    Cette affirmation répond à la remarque de Karl Marx dans Le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte : «Les hommes font leur propre histoire mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux-mêmes, mais dans les conditions directement données et héritées du passé. ».  Il convient donc de construire des réponses africaines aux besoins de l’Afrique.     « Une doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous. » 

 

Un socialisme africanisé ?

     Certains se sont prononcés pour « un socialisme africain ou africanisé […] expurgé de la lutte des classes et de l’athéisme. Il convient de s’y arrêter un instant.

    En ce qui concerne l’athéisme. Il faut tordre le cou à une idée fort répandue à partir d’une lecture tronquée de Marx (« l’opium du peuple ») selon laquelle le marxisme serait un athéisme. Ce n’est pas la pensée de Marx qui qualifie la foi religieuse de souffrance de l’âme qui cherche une issue dans un paradis certes illusoire. Avoir les idées claires sur ce point n’est pas anodin, la foi religieuse ayant souvent été un refuge face à la déculturation à laquelle procédaient les colonisateurs. Peut-on aller jusqu’à l’affirmation selon laquelle : «L’humanisme de la négritude est la réponse au  « désenchantement » du monde. Elle est la recherche d’une tonalité autre qui surgit du refus d’abandonner l’intuition et la spiritualité. » (P.22) Il y a là une piste à explorer sans remettre en cause la Raison.

   A propos de la lutte des classes. La division est- elle, comme l’avait théorisé Kwame Nkrumah, entre trois classes : « Une classe très ancrée dans les valeurs africaines, fidèle à notre genre de vie traditionnel. Une classe représentant la présence en Afrique de la tradition musulmane. Enfin celle représentant la tradition chrétienne et la civilisation de l’Europe occidentale »; ou bien, comme l’a démontré Marx,  entre exploiteurs parce que propriétaires des moyens de production et exploités qui ne disposent que de leur force de travail ? Les moyens de production étant en Afrique la propriété de groupes occidentaux et accessoirement d’une bourgeoisie locale. Selon l’analyse que l’on fait on débouche sur deux conclusions opposées, soit rechercher « les conditions nécessaires pour une intégration réussie à la mondialisation » (P.208),  soit s’orienter vers une voie socialiste  « africanisée ».en considérant que « la séparation capital/travail et ses conséquences pour l’Afrique était on ne peut plus pertinente » (P.255.)

Quels progrès pour l’Afrique ?

   « L’une des finalités des réflexions que nous menons dans le cadre de ces Ateliers de la pensée est de contribuer à améliorer significativement le bien- être de nos concitoyens. Comment en pratique rendre possible cette noble aspiration ? (P.289)

 « …les pays africains peuvent [ils] reproduire avec succès la trajectoire de développement observée en Occident ? » (P.289). Le « plein emploi décent » est-il une aspiration réaliste ? » (P.293) Non, répond un économiste, en s’appuyant sur les exemples de l’Inde et de la Chine : « La question importante ne serait-plus « sommes-nous capables de créer des emplois ? » mais plutôt « sommes-nous capables de répondre à tous les besoins sociaux avec le minimum de gaspillage ? » (P.297)

« Les récentes innovations technologiques ont pour effet de rendre le travail humain de moins en moins nécessaire dans la création des richesses sociales. »(P.297)

« …la baisse tendancielle du temps de travail socialement nécessaire pour produire les biens et les services peut être une source de libération humaine pourvu que les choix politiques appropriés soient faits. »(P.290)

« Mais penser ainsi, c’est déjà articuler des logiques incompatibles avec le maintien du capitalisme et des institutions politiques et culturelles sur lesquelles il repose […] «…le capitalisme, s’il a un avenir, est-il susceptible de de créer l’avenir que nous voulons pour les jeunes d’aujourd’hui et de demain ? Pour ma part je ne le pense pas. »  nous dit Ndongo Samba Sylla ( P.302)

Achille Mbembe de l’Université de Johannesbourg

affirma avec force : « Tous les hommes sont pareils aux autres, des hommes comme les autres, des hommes parmi d’autres hommes. » (P.3.),  « le souci de ce qui nous appartient en propre et de ce qui nous définit en propre n’a de sens que dans la mesure où cela est destiné à être mis en commun »

   «…c’est de cette mise en commun des singularités que dépendent la renaissance du monde et l’avènement d’une communauté universelle. » (P.388) et, paraphrasant Edouard Glissant (P.389), il convient donc  d’« aller à la rencontre du monde en sachant embrasser l’indéniable tissu des affiliations. »

   « Devenir humain implique la sortie de soi-même et la rencontre – jamais garantie – avec l’étrange et l’étranger» (P. 384 ). Ce sera également ma conclusion.

Bernard DESCHAMPS

28/10/2017

 

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commentaires

B
Je comprends Lysianne. Voici mon e-mail/ ab.deschamps@wanadoo.fr qui est largement répandu avec les risques que cela comporte. Très intéressantes vos lectures. je vais me les procurer.
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B
J'étais à Lasalle aujourd'hui pour la fête de la châtaigne. J'avais pensé que peut-être vous y seriez. Il faudrait que nous prenions rendez-vous. Pouvez-vous me communiquer votre e-mail ?
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L
Bonjour Bernard, je ne souhaite pas que mon adresse soit publique, je vais chercher à vous joindre par téléphone. <br /> J'ai écouté ceci (lien vers le podcast en foin de message) : Anselm Jappe, philosophe, poursuit son analyse de la société capitaliste dans "La société autophage : capitalisme, démesure et autodestruction" (La Découverte, septembre 2017)<br /> <br /> Peut-on détruire le capitalisme sans nous détruire nous-mêmes ?<br /> <br /> Après un ouvrage sur Les Aventures de la marchandise, pour une nouvelle critique de la valeur (Denoël, 2003), un autre Crédit à mort : la décomposition du capitalisme et ses critiques (Éditions Lignes, 2011), il poursuit et publie avec Serge Latouche Pour en finir avec l'économie. Décroissance et critique de la valeur chez Libre et Solidaire.<br /> <br /> Aujourd’hui il revient avec La société autophage à La Découverte. Ou pourquoi nous assistons tous passivement à la dérive suicidaire de la société capitaliste : structure économique, diversité culturelle, liens sociaux… tout est détruit, plus rien n'est créé. Une critique radicale qui s’articule autour des concepts de « fétichisme » et de « narcissisme »<br /> <br /> <br /> <br /> https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/le-capitalisme-narcissique-danselm-jappe?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1509543792
D
Bonjour Lysianne. Marx ne nie pas la spiritualité. Je serais heureux d'en parler avec vous. Cordialement.
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L
J'en serais heureuse également, pourquoi pas lors d'une de vos prochaines venues à Soudorgues ?
L
Merci Bernard pour la présentation des actes de ce colloque qui pose beaucoup de problématiques et démontre à nouveau que les visions et les projets divergent autant en Afrique que sur les autres continents. Ce n'est pas forcément réjouissant.<br /> <br /> Je pense de plus en plus que la question de la spiritualité doit être davantage analysée et prise en compte. J'ai le sentiment, peut-être fondé sur mes lacunes, qu'elle a été balayée, exclue du champ de réflexion des penseurs "marxistes" (une telle catégorie a-t-elle un sens ?). La rencontre de Victor Kathémo et la lecture de son roman "Naître ou ne pas naître noir", a entre autre, aiguillé ma réflexion dans ce sens. <br /> La religion catholique, à qui on peut attribuer bien des torts, peut, me semble-t-il, être créditée de sa lutte contre certaines croyances et traditions qui empêchent les progrès humains.<br /> Amicalement,
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