« L’âge d’or de la diplomatie algérienne »
C’est le titre d’un ouvrage dont je viens de terminer la lecture (Editions du Moment, septembre 2015). L’auteur, Ardavan Amir-Aslanian, français d’origine iranienne, est avocat au barreau de Paris. Spécialiste en géopolitique, il est souvent sollicité par divers gouvernements ou organismes en France et à l’Etranger.
Son étude couvre la période allant de 1965 à 1981. « Durant ces quelque dix-sept années, la politique extérieure de l’Algérie va s’appuyer sur quatre principes : non-alignement à l’égard des deux superpuissances, les Etats-Unis et l’Union Soviétique, lutte contre l’impérialisme et le colonialisme, soutien aux mouvements de libération nationale, coopération avec les pays du tiers-monde. » (P. 9). Conformément aux « principes de Bandoeng auxquels le FLN, durant la guerre d’Indépendance, avait délibérément adhéré. » (P. 61) et aux décisions du Congrès du FLN de Tripoli de juin 1962 et à la Charte d’Alger de 1964..
Cette politique connaîtra son « âge d’or » entre 1965 et 1977. Alger devient lors « la Mecque des Révolutionnaires » selon l’expression d’Amilcar Cabral. » Le Che Guavara, Fidel Castro, Samora Machel et autres leaders des mouvements de libération du monde entier s’y succèdent. En fonction de l’évolution des rapports de forces en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient et dans le Monde, cette orientation connaîtra une inflexion à partir de 1977, sans jamais abandonner ses principes mais en sachant négocier et s’adapter aux situations évolutives. Cette fermeté tout en souplesse et en intelligence est selon moi une des caractéristiques de la diplomatie algérienne jusqu’à nos jours. J’y reviendrai plus loin.
Comme le rappelle le chapitre 1, celle-ci s’est formée dans la guerre d’Indépendance de 1954 à 1962. En effet, contrairement à d’autres mouvements de libération nationale, le FLN, dès le déclenchement de l’insurrection, attache autant d’importance à ses relations internationales qu’à la lutte armée et c’est dans les conditions de la clandestinité que va se forger une génération de jeunes diplomates qui, l’Indépendance acquise, donneront la pleine mesure de leurs compétences. Parmi eux, quelqu’un que les Gardois ont connu, Mohamed Khemisti qui, après avoir été étudiant à Montpellier fut le premier Ministre des Affaires Etrangères de l’Algérie en 1962. Au fil des pages, on se remet en mémoire le rôle éminent des ministres Lakhdar Brahimi ; Seddik Benyahia dont l’avion fut abattu en 1982 (accidentellement ?) ) par un missile à quelques kilomètres de la frontière irakienne et surtout Abdelaziz Bouteflika qui, avant d’être élu Président de la République, fut ministre des Affaires Etrangères du 4 septembre 1963 au 8 mars 1979 (15 ans et 4 mois) sous les présidences de Ahmed Ben Bella puis de Houari Boumédiène.
La stature du Président Boumédiène domine cette période jusqu’à sa mort en 1978. Voici le portrait qu’en traça le journaliste Paul Balta pour le journal Le Monde : « Cet homme rigoureux, secret, souvent avare de paroles mais doué d’un humour quasi britannique, qu’il laissait fuser en présence de ses proches ou de ceux avec qui il se sentait en confiance, est mort mal connu des Occidentaux qu’il a souvent inquiétés et sans avoir eu assez de temps pour achever ses « grands desseins ». Mais il laisse une Algérie totalement différente de ce qu’elle était lors de son accession à l’indépendance, quinze ans plus tôt : malgré les problèmes qu’elle doit affronter (démographie, habitat, agriculture), elle a connu un essor que beaucoup de pays du tiers-monde lui envie. » (P.229)
L’auteur met l’accent sur les relations entre l’Algérie et la France qui malgré une colonisation implacable et une guerre de libération cruelle, furent marquées (selon moi, elles le sont toujours) à la fois par la méfiance à l’égard de l’ancienne puissance coloniale et par une admiration pour les traditions révolutionnaires (idéalisées ?) du peuple français. Mouloud Feraoun a exprimé avec douleur cette contradiction dans son Journal 1955-1962 (Editions du Seuil, 1962). Ahmed Ben Bella et Houari Boumédiène, dont l’objectif n’était pas la rupture avec la France, considéraient cependant l’un et l’autre que les Accords d’Evian signés le 18 mars 1962 n’étaient pas « une fin en soi » mais une étape dans le processus de décolonisation. D’où une diplomatie « à arêtes vives » qui fut confrontée aux problèmes des flux migratoires, de l’écoulement des vins algériens, de la souveraineté sur le gaz et le pétrole et …au statut du Sahara Occidental dont le droit à l’autodétermination était affirmé par l’ONU avec le soutien de l’Algérie, mais revendiqué par le Maroc soutenu par la France.
Le 24 février 1971, Houari Boumédiène annonçait la nationalisation à 51% des hydrocarbures.
Au fil des chapitres sont analysées les relations avec Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand.
Pour De Gaulle, l’essentiel résidait dans la poursuite des essais nucléaires au Sahara conformément aux Accords d’Evian. Tout le reste était négociable. Avec Georges Pompidou qui lui succède les relations seront particulièrement difficiles sur l’ensemble des sujets. Valéry Giscard d’Estaing est en 1975, le premier chef d’Etat français à effectuer une visite officielle en Algérie. « Avec Boumédiène, le courant n’est pas vraiment passé. (P.185), Giscard ayant en effet à son arrivée évoqué « la terre des ancêtres » français en Algérie. Ce qui fut considéré comme une maladresse était en fait l’expression du subconscient du partisan de l’Algérie française, ancien allié de l’OAS. Quant à Mitterrand, les Algériens ne lui pardonneront jamais (ce que l’auteur ne dit pas.) d’avoir été le Ministre de la justice sous lequel le plus de patriotes algériens furent exécutés.
Durant sa présidence, Boumédiène sera confronté à des crises majeures : en 1967, la guerre des Six Jours d’Israël contre l’Egypte, la Jordanie et la Syrie ; en 1973, la guerre israélo-arabe (Israël Egypte, Syrie) du Kippour. Il sera à l’origine du Front du Refus après la visite de Sadate en Israël qu’il considèrait comme une trahison. Il affrontera au sein de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine) et de la Ligue Arabe les régimes soumis aux diktats des pays Occidentaux. Il ne transigera jamais dans son soutien au peuple palestinien ni dans celui au Front Polisario qui lutte pour l’autodétermination du Sahara Occidental.
Houari Boumédiène comme Ahmed Ben Bella, fut en pleine guerre froide, un apôtre du non-alignemen. « C’est dans le domaine des relations avec l’Union Soviétique et les Etats-Unis que s’affirme, dès la présidence de Ben Bella, le réalisme dont sait faire preuve la diplomatie algérienne. On y voit les positions de principe des plus intransigeantes s’accommoder d’une large souplesse. Il s’agit pour la jeune République socialiste de concilier les bonnes grâces de Washington avec sa diplomatie de non-alignement, son anti-impérialisme et ses liens affichés avec Moscou. ». (P.57) Contrairement à ce qui se dit parfois, l’aide de l’Union Soviétique à l’Algérie fut moins importante que celle qu’elle accorda à l’Egypte, à la Libye ou à la Somalie. (P.217). Houari Boumédiène était partisan du Grand Maghreb arabe, projet qui se heurta aux désaccords existant entre les divers pays. Il avait également, nombreux sont ceux qui l’ignorent, le projet d’obtenir une réforme du système monétaire mondial : « Le référent monétaire ne serait plus l’or ou le dollar, ce serait « un panier marchandises […] ce système avantagerait avant tout les pays sous-développés…» (P.179) « Enfin avec la CEE, l’Algérie a clairement fait le choix du pragmatisme. » (P.218)
C’est cette politique que le ministre Bouteflika mit en œuvre avec talent. « Doté d’une intelligence aiguë et d’une très grande ambition, capable de risquer sa mise sur un seul coup, notait un conseiller de l’Ambassade de France à Alger, Bouteflika est un négociateur redoutable. Il est fasciné par la personnalité du général de Gaulle, et il admire, nous a-t-il dit, sa capacité à défier autant Washington que Moscou. » (P.60) En novembre 1974, Il présidera l’Assemblée Générale de l’ONU au cours de laquelle il accueillit Yasser Arafat avec les honneurs dus à un chef d’Etat et où furent adoptées les résolutions proposées par l’Algérie en faveur « d’un nouvel ordre économique international », pour lequel le président Boumediene s’était beaucoup investi en réaction au « fossé entre pays riches et pays pauvres. » (P.162 et suivantes)
Abdelaziz Bouteflika marqua cette politique de son empreinte personnelle. Sa grande idée était une « Méditerranée de Paix ». L’auteur écrit qu’en phase avec le président Boumédiène, il lui arriva cependant parfois d’être en décalage. Ce fut le cas, nous dit-il, en 1977 à propos du Maroc avec lequel il souhaitait « l’apaisement ». (P.202)
Le livre refermé, je suis frappé de la permanence des principes qui sont à la base de la politique extérieure de l’Algérie. Par-delà les évolutions intérieures et notamment le passage, dans les années quatre-vingt, à l’économie de marché et son insertion dans l’économie capitaliste mondialisée, sa politique extérieure est d’une remarquable stabilité. Certes, les temps sont révolus quand Nelson Mandela ou le FATH palestinien recevaient une formation militaire en Algérie ou quand l’Armée algérienne intervenait directement pour soutenir des peuples en lutte. Désormais la Constitution interdit à l’ANP d’intervenir hors des frontières. Mais l’Algérie continue de soutenir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et elle continue d’aider financièrement, en matériel et en médicaments le peuple palestinien en butte à la colonisation israélienne et le Front Polisario contre la politique annexionniste du Maroc. C’est à Alger en 1988 que Yasser Arafat officialisa la création de l’Etat palestinien.
En 2013, l’Algérie a annulé la dette de 902 millions de dollars de 14 pays d'Afrique.
L’Algérie constitue un point d'appui solide pour la paix en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient car sa politique extérieure puise ses racines dans les durs combats et les sacrifices consentis par le peuple algérien pour son indépendance.
Bernard DESCHAMPS
13 juillet 2017