M. le député Abdelkader Haddouche a réussi son pari : remplir la salle du CRDP de Marseille pour un colloque sur le thème : « Méditerranée : lien entre les peuples ou muraille d’apartheid ? » Une assistance nombreuse, attentive, vibrante, honorée de la présence de nombreuses personnalités parmi lesquelles Mme Hadda Touati, Consule d’Algérie et plusieurs élus municipaux de gauche de Marseille.
Voici le texte de ma communication :
De part et d’autre de la Méditerranée nos destins sont liés, singulièrement avec l’Algérie. Il est en effet de l’intérêt de nos deux pays de développer nos relations culturelles, humaines, politiques, économiques sur un pied d’égalité, dans l’intérêt mutuel de nos deux peuples. Nous avons à apprendre les uns des autres. Tout nous y incite, notamment la présence en France de nombreux Algériens et de Français d’origine algérienne, la richesse de nos cultures respectives ainsi que la complémentarité de nos ressources naturelles.
Les relations entre une ancienne colonie et le pays colonisateur cependant ne sont jamais simples. A juste titre, l’Algérie est jalouse de son indépendance acquise au prix du sang. Soyons clairs, on ne peut renvoyer les deux pays dos à dos dans une responsabilité qui serait partagée, il y avait en effet un exploiteur et un exploité. C’est donc à la France de démontrer qu’elle a définitivement abandonné toute volonté de domination. Cela passe par la reconnaissance de la malfaisance du colonialisme, par le respect de la souveraineté de l’Algérie donc la non-ingérence dans ses affaires intérieures et par des actes concrets d’échanges culturels et une coopération économique fondée sur la réciprocité et mutuellement avantageuse. Il s’agit en un mot de construire « un partenariat d’exception », selon les propres paroles du Président Bouteflika.
Il faut le reconnaître, la France a tardé à reconnaître le mal qu’elle a fait à l’Algérie. Un puissant lobby s’y oppose soutenu par certains partis politiques. Et mon pays n’a pas entièrement surmonté un sentiment de supériorité voire de racisme qui plonge loin dans son histoire.
Depuis les accords d’Evian du 18 mars 1962 qui reconnaissaient le droit à l’indépendance de l’Algérie, des pas en avant ont été accomplis par l’Etat français avec parfois des reculs comme la déplorable loi du 23 février 2005 sur les soi-disant « bienfaits du colonialisme ». La Déclaration d’Alger du 19 décembre 2012 signée par les présidents Bouteflika et Hollande et les déclarations de ce dernier à cette occasion ont constitué de nouvelles avancées dans cette voie, de même que la déclaration de François Hollande à l’occasion du 19 mars 2016, date anniversaire du cessez-le-feu. Il est dommage que l’attitude non diplomatique de certains policiers à Orly, certaines déclarations ambiguës récentes au sujet des harkis et un tweet impardonnable aient pu créer un doute quant à la volonté de la France de tourner la page sans retour.
La condamnation ferme et définitive du passé colonial est la condition pour que les relations entre nos deux pays se développent dans un climat de confiance. J’aime mon pays la France et c’est l’intérêt de mon pays que de telles relations se développent.
Après la terrible décennie noire, l’Algérie a retrouvé la Paix. Je le constate lors de chacun de mes voyages. Je reviens de Djanet à la frontière sud algéro-libyenne. J’ai pu, avec une de mes petites filles qui m’accompagnait, excursionner librement avec un guide mais sans escorte dans le Tassili N’Ajjer. Malgré la frontière toute proche la sécurité est assurée. A l’évidence la politique de Réconciliation Nationale approuvée par référendum et mise en œuvre par le Président Bouteflika porte ses fruits. Evidemment, nous sommes attentifs aux tentatives de redéploiement de Daech dans le Sahel et j’approuve les efforts des autorités algériennes pour faire face à cette menace en toute souveraineté avec les pays limitrophes et sans intervention militaire occidentale.
Dans un monde actuellement dangereux, déstabilisé par de « nouvelles guerres », l’Algérie constitue un point d’appui précieux en raison de sa politique extérieure de Paix respectueuse du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, confirmée une nouvelle fois par l’actuelle Constitution amendée en 2015 qui précise :
Article 26 : « L’Algérie se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et à la liberté d’autres peuples. Elle s’efforce de régler les différends internationaux par des moyens pacifiques. »
Article 28 : « L’Algérie œuvre au renforcement de la coopération internationale et au développement des relations amicales entre les Etats, sur la base de l’égalité, de l’intérêt mutuel et de la non-ingérence dans les affaires intérieures. Elle souscrit aux principes et objectifs de la Cherte des Nations Unies. »
L’Algérie est désormais un pays sûr et constitue un marché en expansion. Selon une note du Ministère français de l’Economie et des Finances d’avril 2016 : « L'Algérie dispose du PIB par habitant le plus élevé d’Afrique du Nord (14 504 USD (dollars) en parité de pouvoir d’achat) et du quatrième PIB du continent africain (167 Mds USD en 2015). » (Derrière le Nigéria, l’Egypte, l’Afrique du Sud, ndlr) Les entreprises françaises ont intérêt à y investir dans le respect de la législation algérienne.
Selon la même note du ministère français : « En 2015, avec une part de marché de 10,5% et des exportations d’un montant de 5,4 Mds EUR, la France est le second fournisseur de l’Algérie après la Chine (16,0% de part de marché). Les principaux postes d’exportations françaises demeurent les céréales (13,7% du total), les préparations pharmaceutiques (11,9%) et les véhicules automobiles (7,8%). En retour, les importations françaises en provenance d’Algérie (3,9 Mds EUR en 2015) se composent à 92% d’hydrocarbures. »
Par contre, selon une note de la Direction du Trésor français publiée en février 2016, les investissements français en Algérie ont reculé depuis 2012 : « Les flux d’investissements directs français en Algérie se sont établis à 0,6 millions d’euros en 2014 après un désinvestissement en 2013 de -112,7 millions d’euros. Ces deux dernières années marquent une rupture de tendance avec les flux observés les cinq années précédentes où de 2008 à 2012 l’investissement direct français moyen en Algérie s’est établi à 250 millions d’euros. »
Je souhaite que mon pays encourage l’investissement en Algérie en en procédant à des transferts de technologies et pas seulement à y vendre ses produits. Cela peut être bénéfique pour l’Algérie et pour la France s’il ne s’agit pas de délocalisations mais d’unités de production destinées à conquérir de nouveaux marchés.
Je souhaite également que la France soutienne les efforts de l’Algérie pour desserrer l’étau que constitue l’Accord léonin d’Association avec l’Union Européenne conclu en 2002 dans la tourmente terroriste alors que l’Algérie bien seule cherchait désespérément des alliés.
Je souhaite enfin que la France apporte à l’Algérie l’aide nécessaire à la décontamination nucléaire du Sahara, à la destruction des mines posées pendant la guerre d’indépendance et à l’indemnisation des victimes.
Sur le plan culturel la coopération d’Etat à Etat s’inscrit dans le cadre du Document Cadre de Partenariat (DCP) qui a été renouvelé pour une période de 5 ans (2013-2017) à l’occasion de la visite du Président de la République. Je crois que nous pouvons faire plus et mieux pour faire connaître en France le riche patrimoine culturel algérien et la foisonnante création moderne dont le Salon International du Livre d’Alger qui vient de se tenir a constitué une belle vitrine dans le domaine de la littérature. L’Algérie est riche de musées et de galeries d’art qui mériteraient d’être connus. Des initiatives comme celle de la chef d’orchestre Zahia Ziouani qui travaille à la fois à Alger, à Stains et à Nîmes ont aussi une grande importance. Des associations culturelles franco-algériennes nombreuses existent travers la France, faisant preuve d’un dynamisme et d’un dévouement remarquable avec souvent peu de moyens financiers. J’ai pour ma part créé France-El Djazaïr qui organise entre autres un Panorama du Cinéma algérien à Nîmes et dans plusieurs autres villes du département qui en est à sa 9e édition. Il serait sans doute bénéfique que celles de ces associations qui partagent les valeurs de la Révolution se fédèrent afin de mutualiser leurs moyens et avoir une plus grande visibilité. Enfin les jumelages entre des APC, des Wilaya et des collectivités françaises devraient être encouragés.
Nombreux sont mes compatriotes qui ne connaissent l’Algérie que de réputation et qui hésitent à y voyager. Le nombre des touristes dans le Tassili a diminué de 90% depuis l’intervention militaire occidentale en Libye. Le dangereux climat d’islamophobie qui se développe en France depuis les attentats a encore assombri cette situation. Pour ma part, je les incite à visiter votre pays si attachant et si accueillant. Car on en revient toujours humainement plus riche.
Bernard DESCHAMPS