Les médias français dénoncent depuis quelques jours ce qu’ils considèrent comme étant des atteintes à la liberté des « médias indépendants » en Algérie. Leur protestation a pour origine les poursuites judiciaires intentées contre la direction de la chaine privée de télévision KBC et contre une directrice du ministère de la Culture ainsi que par les difficultés rencontrées par le quotidien El Watan pour emménager dans ses nouveaux locaux. Ces décisions soulèvent une certaine émotion dans les milieux culturels algériens choqués notamment par l’incarcération de trois personnes dont Mme Nora Nedjaï que celles et ceux qui la connaissent disent intègre. Beaucoup s'étonnent de la gravité des sanctions dans ce type d'affaire. Une manifestation de protestation s’est déroulée le 1er juillet à Alger, d’autres sont en préparation dont une à Oran.
Attaché personnellement à cette liberté essentielle (J’étais intervenu publiquement en 2005 pour que Mohamed Benchicou soit libéré de prison, avant que le Président Bouteflika le libère ainsi que 200 autres journalistes), j’ai tenu à regarder de près cette situation.
Avec la fin du parti unique, la loi algérienne sur l’Information du 3 avril 1990 a ouvert le champ de la presse aux initiatives privées. L’article 41 ter de la nouvelle Constitution votée le 7 février 2016 garantit cette liberté. Comme le constatait un rapport parlementaire français de Jean-Pierre Dufau, plus de 8o titres désormais existent dont un tiers sont francophones, auxquels s’ajoutent depuis quelques années un nombre sans cesse croissant de journaux électroniques. Dans le même temps, les stations de radios et les chaînes de télévisions se sont multipliées bénéficiant d’autorisations renouvelables dont la date limite a souvent été dépassée générant une certaine anarchie.
Le Ministre de la Communication a annoncé le 28 juin dernier la résolution du Gouvernement algérien « de mettre de l’ordre dans le paysage audiovisuel ». A cet effet une loi de 2014 a créé une Autorité de Régulation de l’Audiovisuel qui a été installée le 20 juin 2016 et qui comprend 9 membres dont 5 désignés par le Président de la République et 4 par les Présidents des deux Chambres du Parlement. C’est cette instance qui aura le pouvoir de délivrer ou de retirer les autorisations. C’est l’équivalent de notre Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) qui comprend 8 membres (loi du 17 janvier 1989), 2 dont son président sont désignés par le Président de la République, 3 sont désignés par le Président du Sénat, 3 par le Président de l’Assemblée Nationale. Le CSA français a été conduit, lui aussi, à refuser ou à retirer des autorisations. Pour ne prendre que quelques exemples : les refus opposés à Radio Solidarité; à la radio musicale Skyrock et la télé Carrib’in et les refus de passer à la TNT gratuite opposés à Paris Première et Planète+.
Sans me prononcer sur le fond ni sur les jugements émis par les tribunaux algériens, il me semble donc qu’au regard de notre propre législation et de notre pratique française, il convient certes d’être vigilant mais aussi d’être prudent avant de lancer une fatwa politique contre les autorités algériennes.
Un dernier mot enfin à propos de ce que des journaux français désignent comme des « médias indépendants ». Certains journaux en Algérie sont la propriété de leurs journalistes et des lecteurs. Mais ils sont de plus en plus souvent rachetés par des groupes industriels et financiers. C’est le cas d’El Khabar et de la chaîne KBC sur lesquels le plus gros milliardaire d’Algérie et d’Afrique, Issad Rebrab, le patron du groupe CEVITAL, déjà propriétaire du quotidien Liberté, a jeté son dévolu. Alors indépendants ?
Bernard DESCHAMPS 6 juillet 2016