J’ai pleuré. Pourquoi le cacher ? Pourquoi en aurais-je honte ? J’ai pleuré en lisant les dernières pages du livre de Joseph Andras. Dans sa sècheresse, le récit de l’exécution de Fernand Iveton est insoutenable. Je n’avais rien lu d’aussi fort, d’aussi bouleversant depuis La question et Si c’est un homme.
Le roman de Joseph Andras – car c’est un roman - nous restitue les années-bonheur de Fernand rencontrant Hélène dont il devient follement amoureux. Un amour partagé qui la conduira à le suivre en Algérie, lorsque Fernand guéri de la tuberculose qu’il soignait en France, retourne au pays. Certains seront surpris, voire choqués des scènes d’amour, mais l’auteur a pris le parti de nous raconter un homme et une femme, et c’est précisément dans le choc entre la vie ordinaire de ce couple et la grandeur du sacrifice et l'héroïque dignité du condamné à mort que réside l’intensité dramatique.
Une question alors nous taraude, que pose d’ailleurs Andras: comment Mitterrand qui était intervenu auprès du Président Coty pour que celui-ci refuse la grâce, a-t-il pu survivre à une telle infamie ? Il fallait faire un exemple et ne pas tolérer qu’un Français d’origine se dise et agisse en patriote algérien. « Ils ont osé », comme l’a écrit le soir même Annie Steiner alors, elle aussi, emprisonnée à Barberousse.
Et la haine des nantis continue de poursuivre celui qui est mort pour que l’Algérie soit indépendante : la première fois que nous sommes allés au cimetière de Bologhine à Alger où il repose, le gardien nous a demandé de l’attendre un instant. Il est allé à son bureau et en est revenu quelques minutes plus tard, portant avec précaution un marbre avec la photo du supplicié auparavant fixé sur sa tombe et que des inconnus avaient brisé…
Une tombe plus courte que les autres…
En contrepoint de la sécheresse du style qui met en valeur le cheminement du terroriste vers la mort, Joseph Andras a des mots somptueux et d’une grande sensibilité pour nous dire les paysages de la Marne ou le ciel d’Alger.
Lisez ce livre.
Bernard DESCHAMPS
29 mai 2016