Samedi 30 avril. Le vert sombre des chênes est parsemé de plages vert tendre. Le printemps explose. Mutines, les fougères se tenant par la main courent le long des routes. Avez-vous jamais observé l’éclosion des feuilles de fougères ? Lovées comme des fœtus, en devenir, laissant deviner leur dentelure, abritées par l’ombrelle des feuilles-mères, elles sont une promesse. A leurs pieds les fragiles saponaires roses et les trèfles grenats se cachent dans l’herbe. Ici et là un coquelicot met une note exubérante dans cette douceur, tandis que les ciguës agressives projettent leurs bras vénéneux vers le ciel. Vendredi 6 mai. Il court, il court le printemps. En une semaine, les pétales violines de serpolet ont tapissé les bas-côtés du sentier. L’or des genêts coule à flots auquel répond la blancheur virginale du mouron des oiseaux. Une brise légère fait frissonner les aiguilles des pins. Qui mieux que David Fontanges a su exprimer leur finesse, leur légèreté, leur élégance ? Ainsi l’art figuratif peut exprimer non seulement la matérialité des objets, mais aussi l’indicible, leur âme. Mes pas, comme un métronome, accompagnent le rythme des quatrains des Roubaïates que me diffuse mon dictaphone. Clin d’œil à l’histoire, la Tour de Peyre construite au XIe siècle pour protéger la vallée de la Salindrenque d’une éventuelle incursion des Maures, projette son ombre sur le chemin.
J’ai consenti hier soir à sortir de ma tanière pour une incursion dans le monde civilisé. Je suis allé voir Dustur de Marco Santarelli au Festival international du Documentaire de Lasalle. Ce Festival organisé par l’association Champ-contrechamp, né il y a quinze ans, modeste au départ, est devenu grand avec 74 films de 70 réalisateurs projetés dans 7 villes des Cévennes, Lasalle, Le Vigan, Valleraugue, Pont de Montvert, Ganges, Vialas et Florac. A Lasalle les séances ont lieu au Foyer, au Temple, à la Chapelle et à la Filature aménagée en salle de projections intérieurement habillée de tentures noires. Des salles pleines. Des files d’attente longtemps à l’avance. Une atmosphère de grande complicité de la part des spectateurs. Des débats, des tables rondes, des groupes musicaux, des expositions, des libraires et sur la place des stands de restauration, crêpes, omelettes aux ceps, soupes des Jardins (un délice)…
Marion Blanchaud qui signe l’éditorial du substantiel programme imprimé, écrit : « En 2015, la violence a pénétré nos frontières et nous lui avons répondu par l’état d’urgence et la discrimination de nos concitoyens d’origine arabo-musulmane, tombant dans le piège qui nous avait été tendu par ceux qui nous ont attaqués. En France, nos gouvernants, asservis à la finance, désintègrent peu à peu les acquis sociaux, acquis qui, rappelons-le, ont été obtenus au prix de longues luttes depuis le Front Populaire en 1936. » Le Festival entend être « aux côtés de celles et ceux qui relatent les catastrophes autant que des alternatives. »
Le film Dustur est dans cet esprit. Il relate les dialogues dans une prison italienne entre un religieux catholique et des prisonniers musulmans dans le but d’écrire ce qu’ils considèreraient comme la Constitution idéale d’un Etat. Dialogues riches empreints de compréhension mutuelle, condamnant l’intolérance. Dans ce documentaire, l’adversaire n’est pas la Religion mais l’intolérance. Ce débat – auquel cependant on peut regretter que n’ait pas été associé un « non croyant » (ce que j’ai fait remarquer dans le débat), n’est pas sans résonance en France aujourd’hui en raison des polémiques au sujet de la laïcité. Un film utile.
B.D.