Le ministre algérien des Moudjahidine en visite en France, une première depuis l'indépendance
Texte par Stéphanie TROUILLARD
Pour la première fois depuis l'indépendance de l'Algérie, un ministre des Moudjahidine, équivalent des anciens combattants, est en visite en France. Avec son homologue français, il s'est rendu à Verdun pour honorer la mémoire des soldats algériens. C’est dans l’ossuaire de Douaumont, près de Verdun, devant la flamme du souvenir, que Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État français chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, et son homologue algérien Tayeb Zitouni, ministre des Moudjahidine, se sont recueillis, mercredi 27 janvier, en hommage aux soldats algériens tombés durant la Première Guerre mondiale.
Les deux hommes se sont également rendus dans le carré musulman de l'ossuaire où reposent 222 Algériens parmi les quelque 20 000 qui ont participé à cette bataille de la Grande Guerre. Cette cérémonie a eu lieu dans le cadre d’un séjour historique de trois jours en France de Tayeb Zitouni. "Jamais un ministre des Moudjahidine algérien n'est venu en France dans une visite officielle. C'est là le sens de l'apaisement de nos mémoires respectives", a souligné la veille Jean-Marc Todeschini après un premier entretien entre les deux hommes, comme le rapporte l’agence de presse algérienne (APS).
Le ministre des Moudjahidine a lui aussi salué la "forte volonté" affichée actuellement par l'Algérie et la France, à la faveur du Traité d'amitié, signé en 2012 par leurs chefs d'État respectifs, pour assainir toutes les questions restées en suspens. "Il est grand temps pour nous [Algériens et Français] de traiter tous les dossiers liés à la question de la mémoire commune et de les prendre sérieusement en charge et en toute responsabilité", a-t-il déclaré.
Un message publié sur le compte twitter de Jean-Marc Todeschini lors de cette visite Trois dossiers mémoriels polémiques Selon le journal El Watan, cette visite est avant tout consacrée à trois principaux dossiers : la récupération des archives nationales de la période de l’occupation française, la question des disparus lors de la guerre d’Algérie, comme Larbi Tébessi ou Maurice Audin, et les indemnisations des victimes des essais nucléaires effectués dans le Sahara algérien.
Le ministre Zitouni a déjà annoncé que "les deux parties ont convenu que la question des archives serait abordée lors de la prochaine réunion de la Commission inter-gouvernementale de Haut niveau (CIHN), prévue en mars à Alger". Concernant les disparus et les indemnisations des victimes, "une commission mixte sera mise en place et devrait se réunir le 11 février prochain". La délicate question des excuses Alors que des avancées semblent déjà acquises entre les deux pays sur ces dossiers, la question de la repentance est plus délicate. En Algérie, de nombreuses voix s’élèvent pour demander à la France d’exprimer officiellement des excuses au peuple algérien pour les souffrances infligées lors de la colonisation, mais le ministre des Moudjahidine pense que ce débat n’est pas à l’ordre du jour. "Le règlement des dossiers en suspens passe avant, ensuite on pourra parler d’excuses", avait-il résumé avant son départ pour la France. Et de relever "une avancée dans la position française concernant la mémoire nationale" comme en témoigne la visite en avril dernier de son homologue français à Sétif, 70 ans après le massacre de milliers d'Algériens.
Pour le journal Le Temps d'Algérie, il faut voir dans cette déclaration de Tayeb Zitouni un double sens. "Dans un contexte de réchauffement sans précédent entre Alger et Paris, il n'est pas bon d'évoquer les questions qui fâchent", explique le quotidien. Une position partagée par El Watan qui estime aussi "qu’Alger et Paris préfèrent donner, depuis ces deux dernières années, un traitement dépassionné des pages de l’Histoire commune". Cette pacification des enjeux mémoriels est la conséquence, selon le quotidien algérien, du "réchauffement dans les rapports bilatéraux à la fois sur les plan politique et économique" entre les deux pays. "Paris, qui a offert tout son appui politique à Bouteflika, reçoit les meilleurs égards d’Alger et s’offre de juteux contrats économiques. Les échanges acerbes du temps du président Sarkozy ne sont qu’un vague souvenir", résume El Watan.