Une étude de Bernard Deschamps
Le Parlement algérien (Assemblée Populaire Nationale et Conseil de la Nation), réuni en congrès le dimanche 7 février 2016, sur convocation du Président de la République, Son Excellence Abdelaziz Bouteflika, a adopté la nouvelle Constitution par 499 voix (dont 275 FLN et 102 RND), 2 Contre et 16 Abstentions dont une partie de celles des élus du Parti des Travailleurs (PT, trotskiste), 8 ayant voté Pour.
Les députés et sénateurs de plusieurs partis de l’opposition : Front des Forces Socialistes (FFS, 26 députés, 2 sénateurs), Alliance verte (Islamiste, 47 parlementaires), El Adala (Islamiste, 7) ont boycotté la séance, tandis que d’autres formations politiques telles que le RCD (laïc), le PADS (communiste), ainsi que les formations constituant le CLTD (Coordination pour la Liberté et la Transition démocratique) exprimaient publiquement leur rejet de ce texte.
Rejet également exprimé par vingt-trois signataires d’une tribune intitulée : «L’Algérie de demain ou l’indispensable changement institutionnel», parmi lesquels figurent Ali-Yahia Abdennour de la LADH et l’ancien chef du RCD, Saïd Sadi. C’était également le cas des 19 personnalités, dont MMes Zohra Drif-Bitat, sénatrice, Khalida Toumi, ancienne ministre de la culture et M. Abdelkader Guerroudj, signataires d’une lettre au Président Bouteflika, ainsi que de quelques professeurs d’université connus pour leur opposition au régime.
La nouvelle Constitution comprend 74 amendements et 38 nouveaux articles.
Voici quelques-unes des principales innovations apportées à la Constitution de 1996
(J’ai souligné les aspects nouveaux. Ces choix relèvent de ma seule responsabilité):
- « Le 1er Novembre 1954 aura été un des sommets de son destin. Aboutissement d’une longue résistance aux agressions menées contre sa culture, ses valeurs et les composantes fondamentales de son identité que sont l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité, dont l’Etat œuvre constamment à la promotion et au développement de chacune d’entre elles. » (Préambule)
- « Le peuple algérien entend garder l’Algérie à l’abri de la fitna, de la violence et de tout extrémisme, en cultivant ses propres valeurs spirituelles et civilisationnelles de dialogue, de conciliation, et de fraternité… » (Préambule)
- « La Constitution…consacre l’alternance démocratique par la voie d’élections libres et régulières. » (Préambule)
- « Le peuple algérien…s’attelle à bâtir une économie productive et compétitive dans le cadre d’un développement durable et de la préservation de l’environnement. » (Préambule)
- « L’Arabe demeure la langue officielle de l’Etat. » (Art.3)
- « Tamazight est également langue nationale et officielle. » (Art. 3 bis)
- « …l’encouragement de la construction d’une économie diversifiée mettant en valeur toutes les potentialités naturelles, humaines et scientifiques du pays. » (Art.8)
- « L’Algérie se défend de recourir à la guerre pour porter atteinte à la souveraineté légitime et à la liberté d’autres peuples. » (Art.26)
- « La liberté d’investissement et de commerce est reconnue…L’Etat œuvre à améliorer le climat des affaires. Il encourage, sans discrimination, l’épanouissement des entreprises au service du développement économique national…L’Etat régule le marché…La loi interdit le monopole et la concurrence déloyale. » (Art.37)
- Le chapitre IV traite des Droits et Libertés :
« parité entre hommes et femmes »…« répression des traitements cruels et inhumains. »…« La liberté d’exercice du culte est garantie dans le respect de la loi. »…« La vie privée est protégée par la loi. »…« Liberté de manifestation pacifique »… « Liberté de la presse »… « Liberté d’opinion, d’expression et de réunion »… « La détention provisoire est une mesure exceptionnelle »… « L’emploi des enfants de moins de seize ans est interdit par la loi »…etc.
- « La nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions publiques. » (Art.51)
- « Le Président de la République est rééligible une seule fois. » (Art.74 »
- « Toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :..(8) au fait que le Président de la République est rééligible une seule fois. » (Art.178)
- Le Titre deuxième, Chapitres I et II, précisent les responsabilités respectives du Président de la République, du Premier Ministre et du Parlement ainsi que les droits de l’opposition.
- « En cas de vacance de l’Assemblée Populaire Nationale ou durant les vacances parlementaires, le Président de la République peut, sur des questions urgentes, légiférer par ordonnance, après avis du Conseil d’Etat. » (Art.124)
- « Les accords d’armistice, les traités de paix, d’alliances et d’union, les traités relatifs aux frontières de l’Etat, ainsi que les traités relatifs au statut des personnes et ceux entraînant des dépenses non prévues au budget de l’Etat, les accords bilatéraux ou multilatéraux relatifs aux zones de libre-échange, aux associations et aux intégrations économiques, sont ratifiés par le Président de la République, après leur approbation expresse par chacune des chambres du Parlement. » (Art.131)
- Le Chapitre II du Titre deuxième traite du pouvoir judiciaire et de son indépendance.
- Le Titre troisième traite du contrôle, de la surveillance des élections et des institutions consultatives :
« …la liste électorale est mise à chaque élection, à la disposition des candidats »… « Il est créée une Haute Instance Indépendante de Surveillance des élections. »…L’article 42 bis précise : « …Les partis politiques agréés bénéficient, sans discrimination, notamment des droits suivants : liberté d’opinion, d’expression et de réunion. Un temps d’antennes dans les médias publics…Le cas échéant, un financement public…»
Devant la commission parlementaire, le Premier Ministre Abdelmalek Sella a évoqué l’article 51 concernant les binationaux, objet d’une vive polémique : « L’article 51 du projet est très clair et ne vise aucunement nos frères à l’étranger, mais plutôt concerne les fonctions supérieures et sensibles. L’Etat et les lois définiront ces fonctions » […] Se voulant explicite, M. Sellal a précisé qu’il s’agit de fonctions en rapport avec « la sécurité et la sécurité financière à un niveau supérieur de l’Etat » qui nécessitent des «conditions exceptionnelles » […] Avec l’article en question, « Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, on reconnaît les Algériens porteurs de plusieurs nationalités. Les portes demeurent ouvertes aux Algériens de l’étranger dans diverses fonctions.
Les arguments de l’opposition
Alger républicain
« La bourgeoisie dans son ensemble voit d’un bon oeil les amendements portant sur les questions économiques. Jamais depuis Chadli un régime n’était allé aussi loin dans la satisfaction de ses revendications. Les partis et journaux exprimant les vues de certaines fractions des couches moyennes continuent pour diverses raisons, pas forcément bonnes, à manifester leur mécontentement. On aura noté que leurs critiques portent sur la méthode de la révision et sur la perpétuation des pratiques arbitraires du pouvoir mais pas sur le contenu économique des amendements retenus. Cette question fondamentale est éludée, ce qui veut dire quelle est honteusement approuvée, que ce soit par le RCD, le parti de Benflis, les partis islamistes ou divers mouvements de circonstance. »
Dans le même temps Alger républicain ne conteste pas que certaines dispositions nouvelles peuvent être positives. 4 février 2016
Le groupe des 19
« …ce projet de révision constitutionnelle n’a pas bénéficié de «débat avec le peuple sur le contenu et la forme», alertant sur le climat général dans lequel elle intervient. Un climat fait d’un niveau si élevé de «menaces terroristes dans notre voisinage immédiat» au moment où «notre pays s'enfonce dangereusement dans une crise socio-économique alarmante, certes du fait de la chute du prix du baril de pétrole sur le marché mondial mais aussi du fait des conséquences dramatiques d'une loi de finances 2016 antisociale et antinationale». 5 février 2016
Parti des Travailleurs (PT, trotskiste)
« La secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT), Louisa Hanoune […] a relevé que "beaucoup de points pour lesquels son parti s’est battu, sont contenus dans le nouveau texte proposé par le président de la République". Elle a affirmé que les ajouts concernant l'indépendance du pouvoir judiciaire comportaient des "points positifs" en faveur de la corporation des avocats et aussi des prévenus.[…] Elle s'est "réjouie" du renforcement de la lutte contre la corruption […]
Concernant les "dispositions contradictoires" contenues dans l'avant-projet, Mme Hanoune a cité, à titre d'exemple, celle proposant la promotion de Tamazight en langue officielle, mais maintient l'arabe comme unique langue officielle de l'Etat.[…]
Au plan socioéconomique, elle a exprimé sa "méfiance" face à la disposition stipulant l'absence de tout "monopole" de l'Etat, et a déploré la décision de supprimer les Offices agricoles en dépit de leur apport pour le secteur. » APS, 7 février 2016
Front des Forces Socialistes( FFS)
« … le parti explique que «ce n’est pas un texte qui est à l’origine de la crise politique, économique, sociale et morale que vit le pays, ce n’est donc pas un texte qui sortira le pays de cette crise qui s’aggrave de jour en jour». Car, ajoute le parti de Mohamed Abbou, « tout projet constitutionnel doit refléter le plus large consensus possible, sinon il est voué à l’échec. A cet effet, le FFS appelle tous les acteurs politiques et sociaux à entamer un processus constituant en vue d’aboutir à un consensus national basé sur l’Etat de droit, la démocratie et les droits de l’Homme». Impact24.info, 2 février 2016
Ali Benlis (adversaire d’Abdelaziz Bouteflika lors de l’élection présidentielle)
«Il est triste pour le pays que la constitution de la République ait été réduite à incorporer une logorrhée politicienne sans consistance, sans profondeur de vue et sans cohérence politique ou juridique. » TSA, 5 janvier 2016
RCD (laïc)
« …l’officialisation de la langue amazighe «consacre enfin le combat de plusieurs générations pour une demande légitime et essentielle pour l’harmonie et la crédibilité des paramètres définissant le cadre devant accueillir notre destin collectif». Par contre, le parti de Mohcine Belabbas indique que «l’annonce de la constitutionnalisation d’une commission de surveillance des élections apparaît comme une offre en trompe l’œil destinée à entretenir la confusion pour reconduire les méthodes du passé… » TSA, 5 janvier 2016
MSP (islamiste)
«…cette constitution n’est ni consensuelle, ni porteuse de réformes et n’exprime que les orientations du président de la République et ceux qui l’entourent», écrit le parti dans son communiqué. Le MSP note une continuité dans la nature du système politique qui «ne ressemble à aucun système constitutionnel dans le monde et qui fait que le président gouverne sans assumer les responsabilités». TSA, 5 janvier 2016
Ma conclusion
Cette Constitution qui a été longuement préparée pendant près de deux ans avec de nombreux partis politiques, des personnalités et divers groupements, s’inscrit dans le double mouvement engagé dans les années quatre-vingt, d’approfondissement de la démocratie et d’insertion de l’Algérie dans la mondialisation capitaliste, en tenant compte de son histoire et en s’efforçant de préserver une indépendance acquise au prix du sang.
Il n’est plus question, comme dans la Constitution de 1963 de « …voie de l’édification du pays, conformément aux principes du socialisme », orientation qui avait été maintenue dans la Constitution de 1976 et abandonnée dans celle de 1996. A cet égard, la mention dans la nouvelle Constitution, des accords de libre-échange, est interprétée par certains observateurs comme une volonté de les graver dans le marbre et par d’autres, comme leur subordination à l’accord du Parlement algérien.
Enfin, en ces temps d’incertitude sur l’avenir de l’humanité, notons que l’Algérie confirme sa politique de paix et de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres peuples.
Bernard DESCHAMPS 07 février 2016