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25 décembre 2015 5 25 /12 /décembre /2015 11:12
LE JOURNAL L'HUMANITE SALUE LA MEMOIRE DE HOCINE AÏT AHMED

l"Humanité

24 décembre 2015

Hassane Zerrouky

Jeudi, 24 Décembre

Il était le dernier survivant des neuf chefs historiques du FLN (Front de libération national) qui allaient déclencher la guerre d’indépendance algérienne le 1er novembre 1954.

Hocine Ait Ahmed, 89 ans, est décédé mercredi dans un hôpital de Lausanne. Même si son nom ne figurait pas parmi les six membres fondateurs du FLN (M.Boudiaf, Ben Boulaid, Larbi Ben M’Hidi, Krim Belkacem, R.Bitat, M.Didouche) - il se trouvait alors au Caire avec deux autres chefs historiques, Ben Bella et Mohamed Khider – et était tenu au courant et associé aux préparatifs de l’insurrection algérienne. Titulaire du Bac, ce parfait quadrilingue maitrisait aussi bien le berbère sa langue natale, l’arabe classique que le français et l’anglais. Né à Ain al-Hammam (ex-Michelet) en Kabylie le 20 août 1926, Ait Ahmed, alors lycéen, adhère en 1942 au Parti du Peuple algérien (PPA, fondé par Messali Hadj). Au sein de ce parti, très implanté en Kabylie et dans l’immigration algérienne, le futur dirigeant du FLN assumera des fonctions dirigeantes dès 1947. C’est d’ailleurs cette année -là, deux ans après les massacres du 8 mai 1945 à Sétif (45 000 morts) que fut fondée l’Organisation spéciale (OS) qui devait préparer la guerre d’indépendance, organisation qui sera démantelée en 1950 et au sein de laquelle Ait Ahmed jouait un rôle prépondérant. Avec Ben Bella il organise même en 1949 le braquage de la banque d’Oran pour se procurer les fonds nécessaires à l’achat d’armes. Suite à cette affaire, l’OS est démantelée. Ben Bella est arrêté et condamné à cinq ans de prison, Ait Ahmed, qui échappe aux arrestations, plonge dans la clandestinité et quitte l’Algérie pour s’installer au Caire en 1952 où il fera partie avec Ben Bella et Khider de la délégation extérieure du PPA qui deviendra en 1954 celle du FLN. Et c’est lui qui, en avril 1955, dirigera la délégation algérienne à la conférence de Bandung qui allait donner naissance au Mouvement des non-alignés fondé par l’égyptien Nasser, l’indonésien Sokarno, l’indien Nehru et le yougoslave Tito.

En 1956, l’avion dans lequel il se trouvait en compagnie de Boudiaf, Ben Bella, Khider et Lacheraf, en partance à Tunis pour une rencontre des leaders maghrébins, est arraisonné par l’armée française et contraint d’atterrir à l’aéroport d’Alger : arrêté avec ses compagnons, Ait Ahmed sera interné jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance en 1962. Alors qu’une lutte fratricide se déroulait au sein de l’ALN (Armée de libération nationale), bras armé du FLN – plusieurs dirigeants ont été assassinés, comme Albane Ramande, ont été assassinés entre 1956 et 1960 – Ait Ahmed, contrairement à Ben Bella, se tient à l’écart des luttes entre factions rivales et en appelle à l’unité des rangs du FLN/ALN.

A sa sortie de prison en mars 1962, le FLN est en proie à une crise de de rivalités de pouvoir, avant de se déchirer militairement durant l’été 1962, l’Algérie ayant frôlé une guerre civile si les Algériens n’étaient pas sortis massivement dans les rues aux cris « Sept ans ça suffit » en s’interposant entre les combattants pour faire cesser les affrontements. Ait Ahmed dénonce ceux qui recourent à la violence pour imposer leur point de vue. Le 27 juillet 1962, trois semaines après l’accession de l’Algérie à l’indépendance, il démissionne de toutes les structures de direction du FLN et se tient à l’écart des luttes au sein du parti, évitant dans un premier temps de prendre partie pour les uns ou les autres. Quelques mois plus tard, en septembre 1962, il accepte d’être élu à la première assemblée constituante : «je suis militant et c’est une Assemblée de patriotes c'est-à-dire des militants comme moi » expliquait-il alors à Jeune Afrique du 1er octobre de la même année. Fidèle à une certaine vision de la politique, qualifiée par lui-même d’« opposition constructive », il dénonce l’interdiction du PCA (parti communiste algérien) et les dérives autoritaires du régime de Ben Bella. Ce qui ne l’empêche pas de soutenir l’autogestion des fermes et des entreprises coloniales, voire de critiquer le pouvoir de Ben Bella qu’il soupçonnait de vouloir liquider "l’autogestion socialiste ». De ce fait, contrairement à ce qui a été écrit par la suite, Ait Ahmed, comme tous les dirigeants du FLN, n’était pas un partisan du multipartisme. « Leur vision politique n’avait nullement la clarté qu’ils lui donneront après coup (…) ils cherchaient à tâtons leurs voies » écrit à juste titre Mohamed Harbi (L’Algérie et son destin, ed.Medias associés. Alger 1994) avant de souligner plus loin que « tous les dirigeants du FLN entretenaient avec l’idéal démocratique un rapport instrumental ». Ce n’est que plusieurs années après que le fondateur du FFS s’est rallié au pluralisme. En 1963, il en allait autrement. Ainsi, quand Ait Ahmed s’aperçoit de l’impossibilité de faire évoluer de l’intérieur les institutions, il dénonce le « coup de force institutionnel » de Ben Bella, crée en septembre 1963 le Front des forces socialistes (FFS) et déclenche une lutte armée à partir de la Kabylie pour renverser le régime de Ben Bella soutenu à l’époque par la gauche du FLN et les communistes via Alger républicain. Mais lâché par le colonel Mohand Ould Hadj qui ordonne à ses hommes de cesser le combat en raison du conflit opposant l’Algérie au Maroc, Ait Ahmed, isolé, est arrêté en 1964, condamné à mort puis gracié, il quitte l’Algérie pour l’étranger pour un exil qui durera 23 ans.

Une période au cours de laquelle, deux chefs historiques du FLN avec qui il était en contact sont assassinés (Mohamed KHider en 1967) à Madrid et Krim Belkacem en Allemagne en 1971. En 1985, s’étant réconcilié avec Ben Bella, ils lancent à partir de Londres un appel commun à l’instauration de la démocratie en Algérie. Deux ans après, son ami Ali Mecili, qui avait pris une part active a cet appel, est assassiné à Paris en 1987.

En 1989 à la faveur de l’instauration du multipartisme suite aux révoltes populaires d’octobre 1988 qui mettaient fin au régime du parti unique, Ait Ahmed retourne en Algérie. Son parti, le FFS, devenu entre-temps membre de l’Internationale socialiste, est légalisé et participe aux premières élections pluralistes du pays en 1990 et 1991. Opposant irréductible au régime algérien dont il conteste la légitimité, Ait Ahmed fait néanmoins preuve d’un manque de discernement en consacrant toute son énergie à fustiger la politique du Premier ministre réformateur Mouloud Hamrouche alors en butte aux menaces du Front islamique du Salut (FIS), lequel se proposait d’instaurer un Etat islamique basé sur la chariâa et s’était signalé par sa violence envers les femmes qualifiées par son chef Abassi Madani d’« éperviers du colonialisme », par l’interdiction des concerts de musique dont le plus emblématique fut celui de la chanteuse portugaise Linda de Sousa. Et quand l’armée eut mis fin au processus électoral suite à la victoire du FIS au premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991, Ait Ahmed, qui avait appelé entre les deux tours à une marche rassemblant plus d’un million de personnes à Alger contre la menace islamiste, se rétracte. Il refuse l’offre des militaires de diriger transitoirement l’Algérie et qualifiera de « coup d’Etat » l’arrêt des élections législatives. Il s’en tiendra à cette ligne durant toutes ces années 90 de tueries et de massacres commis et revendiqués par les islamistes, renvoyant dos à dos le pouvoir et les auteurs des assassinats de journalistes, d’intellectuels et de femmes.

Après l’assassinat du président Boudiaf en juin 1992, Ait Ahmed, qui se définissait comme « un démocrate impénitent », quitte l’Algérie pour la Suisse d’où il continuera à pourfendre le « régime militaire » d’Alger. En 1995, à Rome avec Ben Bella, il signera avec les islamistes du FIS représentés par Annouar Haddam, l’homme qui a revendiqué les meurtres des journalistes et intellectuels, aujourd’hui réfugié aux Etats-Unis, le « contrat national » en vue d’une « solution politique », et ce, tout en dédouanant au passage le « djihad » du FIS, un parti dont la démarche était qualifié en 1991 (par lui-même) de « fascisme rampant » ! Son compagnonnage avec les islamistes, dont il n’a jamais dénoncé les crimes, durera jusqu’à la fin des années 90. Lors des massacres de civils en 1997-98, il lance un appel à l’intervention internationale en Algérie pour la « protection » du peuple algérien, n’hésitant pas pour ce faire à dénoncer la lâcheté de la communauté internationale envers ce qui se passe en Algérie ! Et de ce fait, sa politique du « non à l’Etat islamique non à l’Etat policier » passe mal au sein de l’opinion algérienne. Et quand en novembre 1995, il appelle au boycott du scrutin présidentiel qui verra l’élection triomphale de Liamine Zeroual, sans doute la seule élection qui a vu une participation massive des Algériens ayant défié le GIA (Groupe islamique armé) qui promettait « l’urne ou le cercueil », Ait Ahmed fera encore montre d’un manque de discernement. Pour preuve : le FIS, alors allié du FFS, reconnaissait dans un communiqué la validité du scrutin et demandait l’ouverture de négociations. De retour en Algérie en 1999, il est candidat à l’élection présidentielle ; à la suite d’un malaise cardiaque, il interrompt sa campagne. Mais il poursuit son combat contre le pouvoir à l’intérieur du Parlement où le FFS représente la quatrième force du pays et à l’extérieur en soutenant les mouvements sociaux, les luttes pour les droits de l’homme et l’amazigh (le berbère) comme langue officielle (elle est reconnue uniquement comme langue nationale). Toutefois, en ce qui concerne la révolte citoyenne en 2001-03 en Kabylie puis dans les Aurès, Ait Ahmed la qualifiera de « produit » fabriqué par les laboratoires des services. Cette vision policière des faits aliénera au FFS des pans entiers de la société civile, notamment en Kabylie. Par centaines, des cadres et des militants quittent le parti, dénoncent l’autoritarisme du « zaim » (guide) qui, à partir de Genève (c’est une singularité de ce parti) dirige le FFS, nomme et défait ses dirigeants. Les années passant, affaibli par la maladie, Ait Ahmed quitte le 25 mai 2013, la direction du FFS après un règne sans partage de 50 ans. Deux ans plus tard, le 25 janvier dernier, victime d’un AVC, il cesse toute activité. Entre temps, le vieux dirigeant s’est rapproché du pouvoir algérien. Inquiets par la tournure prise par le printemps arabe dans certains pays, la Syrie et la Libye notamment, craignant des menaces sur l’unité du pays, Ait Ahmed et le FFS prônent depuis une démarche fondée sur le plus large consensus, pour sauver l’Algérie des périls qui la menacent, non sans pointer pour la première fois la responsabilité des pays occidentaux. Une démarche soutenue par de nombreux secteurs de la société civile et politique, dont l’ex-Premier ministre Mouloud Hamrouche.

Ait Ahmed aura droit à des obsèques nationales. Comme ces dirigeants historiques qui ont disparu avant lui, il sera pour tous les Algériens ce patriote qui a permis à l’Algérie de se libérer.

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