El Moudjahid
24 décembre 2015
Un des chefs historiques du mouvement national et de la Révolution algérienne, Hocine Aït Ahmed, est décédé, hier matin à l’hôpital de Lausanne (Suisse), à l’âge de 89 ans des suites d'une longue maladie, indique un communiqué du Front des Forces socialistes (FFS). «Nous apprenons, avec une immense douleur, le décès ce matin à l’hôpital de Lausanne de Hocine Aït Ahmed, historique du mouvement national et de la Révolution algérienne, fondateur et président du Front des Forces socialistes, des suites d’une longue maladie», précise la même source.
Le militant au long cours
Le retour du moudjahid Hocine Aït Ahmed en Algérie, après une longue absence, se fait en 1990. Le Front des Forces Socialistes, le parti qu’il avait fondé au lendemain de l’indépendance de l’Algérie en 1963, mais interdit depuis, devait alors tenir, au printemps 1991, son tout premier congrès dans la légalité après l’ouverture démocratique. Une occasion pour nous, alors jeune journaliste et surtout un de ces jeunes de la génération postindépendance, de rencontrer un de ces historiques qui avaient enclenché et fait Novembre avec un rendez-vous pris pour une interview pour le compte du journal Horizons. «La démocratie doit s’installer dans la durée», nous avait déclaré le leader du FFS. Tout un programme, un principe fondamental en vérité qui avait guidé tout le parcours politique et révolutionnaire de cet historique et pour lequel il s’est battu, sa vie durant, tant la vie de Hocine Aït Ahmed, son parcours, son histoire se confondent avec ceux de son pays.
Dès sa prime jeunesse, il prend conscience de son état de colonisé, des inégalités flagrantes institutionnalisées par le pouvoir colonial, de la grande misère sociale, économique et culturelle dans laquelle se débattaient les «indigènes», relégués au bas de l’échelle par un statut inique qui en faisait des étrangers en leur propre pays, soumis aux devoirs, aux taxes, sans droit aucun. Né en 1926 à Aïn El-Hammam, un certain 20 août, une date prémonitoire pour un grand repère à venir de la glorieuse Révolution de Novembre, le jeune Hocine Aït Ahmed n’avait pas encore seize ans lorsqu’il adhère au PPA-MTLD. Entre ses études aux lycées de Tizi Ouzou et de Ben-Aknoun, ponctuées par l’examen du probatoire, la première partie du baccalauréat et ses activités politiques clandestines au sein du parti, le PPA ayant été dissous en 1939, le jeune militant ne tarde pas à gravir les échelons.
Après les douloureux événements et les horribles massacres perpétrés à Sétif, Guelma et Kherrata contre des civils sans armes qui revendiquaient la liberté, cette même liberté que le monde entier venait de célébrer avec la chute et la défaite du nazisme, Hocine Aït Ahmed plaide au sein de son parti pour le recours à la lutte armée. «Pour nous, le 8 mai 1945 a été le début d’une conscience révolutionnaire, c’était la fin de la politique», dit-il. Il est de fait en première ligne dans la création de l’OS, l’Organisation spéciale, lors d’une session du comité central élargi du PPA-MTLD tenu en décembre 1948 dans la localité de Zeddine, wilaya d’Aïn Defla actuellement. Avec Mohamed Belouizdad comme coordinateur entre cette structure, le PPA, qui agissait dans la clandestinité et la façade politique légale, le MTLD, Abdelkader Benhadj-Djillali, responsable militaire, Ahmed Ben Bella, responsable du département d’Oran, Mohamed Maroc, responsable du département d’Alger, Djillali Reguini, responsable du département de la Kabylie, Mohamed Boudiaf, responsable du département de Constantine, Hocine Aït Ahmed est désigné comme responsable politique, avant d’en prendre la direction de l’état-major de 1947 jusqu’à l’été 1949, date d’où il en sera destitué au profit d’Ahmed Ben Bella, accusé par la direction du PPA-MTLD d’activisme «berbériste».
Les historiens, à cet égard, mettent en valeur sa contribution dans le rapport présenté, lors de la session élargie du comité central du PPA-MTLD tenue à Zeddine, un prélude au déclenchement de la Révolution armée et une vision à dimension nationale et à portée internationale. L’OS, sous la houlette de Hocine Aït Ahmed, avait signé sa première action, le hold-up de la poste d’Oran, un moyen pour financer l’action paramilitaire, mais surtout pour réaffirmer l’option du recours à la lutte armée pour libérer l’Algérie. Aït Ahmed est rappelé cependant et est nommé officiellement membre de la délégation extérieure du PPA-MLTD ; il se retrouve en 1952 au Caire, loin des dissensions et des conflits internes entre Messalistse et Centralistes, où il commence à jeter les bases d’une diplomatie algérienne révolutionnaire pour tisser et renforcer les liens existants avec les pays du tiers-monde et avec les mouvements anticolonialistes d’Afrique et d’Asie.
Le 1er novembre 1954, la Révolution est déclenchée. Hocine Aït Ahmed, qui avait auparavant applaudi et adhéré à la création du CRUA en mars 1954, était au Caire avec Ahmed Ben Bella et Mohamed Khider, et rendent publique la proclamation du Front de Libération Nationale, et, avec les six chefs de la Révolution en poste à l’intérieur de l’Algérie désormais combattante, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Rabah Bitat, Didouche Mourad, Mostefa Benboulaïd et Larbi Ben-M’Hidi, ils forment ainsi le groupe des Neuf historiques.
Hocine Aït Ahmed mène, en parallèle à la lutte armée déclenchée en Algérie, une intense lutte politique et diplomatique. Il participe ainsi, au nom de l’Algérie, à la conférence des partis socialistes d’Asie organisée dans la capitale birmane, Rangoon, en janvier 1953. En avril 1956, grâce à un forcing et à une patience sans faille, il réussit, avec M’Hamed Yazid, à présenter, conjointement avec les délégations marocaine et tunisienne, un mémorandum maghrébin, lors de la conférence de Bandoeng.
En avril 1956, toujours en compagnie de M’Hamed Yazid, c’est un bureau qui est ouvert auprès des Nations unies à New York, une entrée et une présence qui ouvrent la voie à l’inscription de la question algérienne à l’ordre du jour de l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre de la même année.
Le 22 octobre 1956, à bord d’un avion en partance de Rabat vers Tunis, en compagnie d’Ahmed Ben Bella, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf, Hocine Aït Ahmed et ses compagnons sont victimes d’un acte de piraterie aérienne orchestré par les services secrets de l’occupant colonialiste. L’avion est détourné vers Alger où ils sont arrêtés, puis transférés à la prison de la Santé en France. Ce n’est qu’avec le paraphe des accords d’Évian et la proclamation du cessez-le-feu qu’ils seront libérés.
L’Algérie, nouvellement indépendante, les conflits et les clivages nés avant et pendant la Révolution remontant à la surface, Hocine Aït Ahmed refuse le régime politique mis en place, plaidant pour une souveraineté de l’Assemblée constituante et un pluralisme politique. Une opposition politique qui se mue en rébellion ouverte, une rébellion armée. C’est dans ces circonstances que Hocine Aït Ahmed a crée le Front des Forces Socialistes, le 22 septembre 1963. Arrêté et condamné à mort en 1964, il sera finalement gracié et s’évade de la prison d’El-Harrach, le 30 avril 1966.
Il reprend ses études en Suisse après la deuxième partie du baccalauréat décroché, alors qu’il était emprisonné, et obtient une licence en droit, à Nancy, en France, où il parachève ses études avec un doctorat en droit international.
Après l’arrêt du processus électoral, lors des élections législatives de décembre 1991, élections auxquelles le FFS avait participé — arrêt refusé par le leader du FFS qui voulait que le deuxième tour ait lieu — le parti organise et appelle à une marche grandiose dans la capitale. Hocine Aït Ahmed quitte alors l’Algérie, mais y revient en février 1999 et se porte candidat à la magistrature suprême. Il se retire cependant de la course en pleine campagne électorale, pour des raisons de santé, victime d’une attaque cardiaque.
Le 21 décembre 2012, Hocine Aït Ahmed annonce, dans un message au conseil national réuni à Alger en une session extraordinaire, son retrait de la présidence du FFS.
Abderahmane Marouf-Araïbi
Photo FFS