TSA
lundi 23 novembre 2015
Par Hadjer Guenanfa
Des attaques terroristes ont eu lieu à Bamako, Paris et Ankara. Peut-on parler d’une recrudescence du terrorisme ?
Nous pouvons parler de la recrudescence d’un terrorisme qui a un effet multiplicateur sur le plan médiatique. Il est clair que l’objectif de ces actions est d’obtenir un très large écho médiatique. Sur ce plan, ce qui s’est passé en France est du même niveau que les attentats du 11 septembre aux États-Unis, les attentats de 2005 en Grande Bretagne, ou de 2003 en Espagne ou encore de 2014 à Sousse en Tunisie. Je veux dire que ce sont des attaques qui ciblent un nombre important de civils, de manière indiscriminée, avec très peu de moyens mais dans des capitales qui ont un statut emblématique au niveau mondial. C’est peut-être cela qui donne cette impression de recrudescence. De mon point de vue, ce qui s’est passé intervient dans un continuum. Il s’agit d’une menace permanente contre la paix et la sécurité internationale. Aujourd’hui, elle est bien identifiée. Le renforcement de la coopération internationale, aussi bien en terme d’anticipation qu’en termes de prévention et de mesures opérationnelles, permettra de toucher le cœur des groupes terroristes.
Ce n’est donc qu’une impression de recrudescence amplifiée par les médias ?
Je pense qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans ces rapports médiatiques qui amplifient une perception alors que la réalité en termes de nombre de victimes et d’attentats est de loin inférieure à celle que nous avons connue dans d’autres pays touchés par le terrorisme dont la Syrie, l’Irak, l’Afghanistan. En Algérie, nous avons vécu en première ligne cette situation. En raison d’une transition politique mal négociée et d’un certain nombre de décisions très critiquables à partir des événements de 1988, nous avons été confrontés à une agression terroriste d’une très grande ampleur dont l’objectif était d’instituer par la force un État islamique, théocratique sur le fondement du salafisme et du takfirisme. Une réaction très saine est intervenue des forces vives de ce pays et de sa plus haute hiérarchie militaire qui ont arrêté ce saut dans l’inconnu. Nous en avons payé le prix. Nous avons connu en Algérie les manifestations les plus atroces de ces actions terroristes de grande amplitude.
L’Algérie était complètement isolée à l’époque…
L’Algérie était isolée pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle a toujours eu une politique d’indépendance nationale qui a fait que nous n’étions l’allié de personne et nous n’étions soumis à aucune des forces qui gouvernaient le monde. Ensuite, nous étions très isolés par rapport à l’ancienne puissance coloniale pour une série de raisons historiques et de faits politiques qui se sont passés après l’indépendance. Le terrorisme qui s’est développé ici a tout fait pour nous isoler notamment en ciblant les étrangers. Nous avons fait face à ce phénomène dans l’incompréhension, l’indifférence et l’isolement. Mais nos institutions démocratiques et militaires n’ont jamais été isolées du peuple. La population a très tôt compris les vrais enjeux et s’est mise du côté des institutions démocratiques, militaires et sécuritaires pour faire face de front à ce danger extrémiste, terroriste et takfiriste.
L’Algérie est-elle aujourd’hui à l’abri de cette menace ?
L’Algérie est à l’abri d’une menace terroriste qui pourrait remettre en cause sa sécurité nationale. Il n’y a plus de forme de terrorisme qui soit en mesure de menacer l’Algérie dans sa sécurité nationale et dans la stabilité de ses institutions démocratiques. Mais le terrorisme continue à être une menace sérieuse pour l’ordre public et la sécurité des personnes et des biens. Donc, on doit être vigilants et continuer à adapter nos moyens de réponse sur les plans militaire, sécuritaire, policier, etc.
Notre pays n’est donc pas à l’abri de cette menace ?
Aucun pays n’est à l’abri. La menace est transnationale. C’est pour cette raison qu’il faut maintenir le niveau de vigilance au plus haut en termes d’anticipation, de prévention et de réponse à une quelconque action qui peut se passer. Aujourd’hui, nous avons également l’immunité que nous donne le soutien de la population et les défenses immunitaires acquises par nos jeunes contre l’extrémisme.
On constate depuis quelques jours un renforcement du dispositif sécuritaire notamment dans la capitale…
Il y a constamment une adaptation de la coordination sécuritaire en termes de préservation de la sécurité des personnes et des biens, de la protection des infrastructures essentielles, des sites sensibles et des cibles vulnérables. Il y a même plusieurs plans de protection et de préservation qui permettent à nos services de sécurité d’anticiper une éventuelle attaque.
A-t-on relevé le niveau de sécurité après les derniers attentats à Paris et Bamako ?
En Algérie, nous n’avons pas un système de paliers par rapport à l’émergence éventuelle d’une menace. La situation est évaluée de manière constante par les divers services de sécurité en coordination au niveau central, national et régional. Il y a également une coordination avec les services de sécurité des pays étrangers qui nous permettent de prendre les mesures qui conviennent en termes d’anticipation et de prévention.
Le dispositif a-t-il été renforcé après ces attaques ?
Il y a une adaptation constante des mesures prises selon l’évolution de la situation intérieure, régionale et internationale. Combien de terroristes reste-t-il dans les maquis en Algérie ? Moins d’une dizaine de groupuscules épars dans deux ou trois régions du pays qui sont complètement isolés et qui font l’objet d’une traque perpétuelle. En général, ils sont dans les zones montagneuses et à la périphérie de certains centres urbains. Le groupe qui a assassiné Hervé Gourdel et un autre groupe se sont réclamés de Daech… Faites bien la différence entre deux choses. La première est la matrice idéologique du terrorisme qui est le salafisme djihadiste et takfiriste qui utilise le terrorisme comme un moyen d’expansion et qui veut imposer un pseudo État islamique et théocratique. Celle-ci existe partout, y compris chez nous. Pour avoir subi une défaite historique, cette matrice idéologique n’a plus la même ampleur en Algérie contrairement à d’autres régions. Les réponses apportées en termes de politiques publiques ont rendu très difficile l’extension de cette matrice idéologique. La deuxième est liée à notre jeunesse qui est moins sensible au recrutement sur Internet. Nous le constatons à travers la surveillance d’Internet et particulièrement de ces sites (djihadistes, NDLR).
A-t-on des combattants de Daech en Algérie ?
L’allégeance à Daech, comme l’allégeance à Al Qaïda, Ansar Charia ou une autre organisation terroriste existe. Évidemment, je ne veux pas sous-estimer son importance, mais elle reste très limitée chez nous par rapport à d’autres pays. En fait, l’époque de l’allégeance des groupes terroristes algériens à une centrale terroriste internationale me semble révolue. Cela étant dit, nous savons que près de 200 Algériens ont rejoint la Syrie dont une centaine serait impliquée dans les actions armées et les autres dans les activités périphériques de soutien. Nous avons également la confirmation qu’à peu près une cinquantaine d’entre eux ont été tués. Certains terroristes ayant participé aux dernières attaques à Paris avaient séjourné en Syrie avant de regagner la France par la suite.
Comment l’Algérie se protège-t-elle ?
Nous nous protégeons de trois manières. Nous avons constitué une base de données centralisée de personnes concernées ou soupçonnées de rejoindre ces groupes à l’étranger. Nous avons le système des questionnaires orientés lors de passage aux frontières. Nous avons des contrôles plus rigoureux en ce qui concerne le déplacement d’une certaine catégorie de jeunes vers des destinations déterminées. Nous avons aussi accentué la surveillance électronique des personnes susceptibles d’utiliser Internet pour communiquer avec ces groupes terroristes.
Comment se manifeste cette accentuation de la surveillance électronique ?
Nous avons des services qui s’en occupent.
Ces jeunes ne peuvent donc pas revenir en Algérie sans être interpellés ?
Les mesures d’anticipation, de contrôle et de surveillance sont à un niveau de vigilance qui rend très difficile une telle éventualité. Mais le risque zéro n’existe pas.
L’Algérie tente depuis plusieurs mois d’apporter une solution au chaos en Libye. Que se passe-t-il exactement ?
Le terrorisme se développe beaucoup plus rapidement et prend de l’ampleur de manière beaucoup plus grave dans une zone de grande instabilité institutionnelle, comme c’est le cas en Libye. L’Algérie, pays limitrophe et frère, est intéressée au premier plan par un retour rapide de la sécurité et de la stabilité en Libye. L’Algérie essaie de faire en sorte que les Libyens poursuivent le dialogue et se mettent d’accord le plus rapidement possible sur un gouvernement d’union nationale. Elle le fait en coopération non seulement avec les Nations Unies, son représentant mais aussi avec les pays voisins dont l’Égypte et le Soudan. Ce travail se fait discrètement pour pouvoir assurer toutes les chances d’un dialogue fructueux en Libye. Nous espérons que les choses se règlent rapidement. L’instabilité en Libye où des centaines de milices armées existent et où tous les trafics sont possibles, est dommageable pour la sécurité d’un pays voisin comme l’Algérie.
Mais où on est-on actuellement concernant la Libye ?
La Libye présente un certain nombre de caractéristiques qui rendent difficile les approches possibles de solutions. Premièrement, ce pays est historiquement le résultat de la jonction de trois ensembles : la cyrénaïque, la tripolitaine et Fezzan. Deuxièmement, les identités tribales ont toujours pris le dessus sur les autres facteurs. Le système politique qui a géré la Libye pendant 40 ans n’a pas placé la citoyenneté à un rang qui puisse permettre de dépasser ces identités primaires. Ce qui nous fait dire qu’il y a un problème de nation et de gouvernance d’État. Troisièmement, il s’agit d’un pays qui a des richesses immenses en hydrocarbures alors que sa population ne dépasse pas les six ou sept millions d’habitants. Ces trois caractéristiques font que le conflit qui a suivi la chute du président Kedhafi a entrainé l’exaspération des particularismes régionaux, de l’appartenance tribale à travers les milices et de l’appétit féroce des puissances extérieures. Le problème est difficile à régler. Cependant, nous voulons arriver le plus vite possible à ce que l’absence de dialogue et la division cessent pour que la Libye reprenne son statut d’État.
Le ministre français de la Défense a parlé de 4 000 à 5 000 combattants de Daech en Libye…
4 000 à 5 000 combattants, c’est beaucoup. Nous savons que des foyers du terrorisme à fondement djihadiste et takfiriste existent en Libye et en particulier dans la région est (Beida, Derna) et dans la région sud (Fezzan, Oubari, Merzok, Ghat). Ce sont effectivement deux zones où des centres importants de concentration de terroristes qui auraient fait allégeance à Daech existent. Ils constituent un danger pour la Libye et pour tous les pays de la région. La poursuite de la crise politique en Libye est un facteur qui ne fera qu’augmenter le risque de concentration de ces éléments terroristes. Selon les derniers chiffres rapportés par les rapports de sécurité, il y aurait entre 600 à 800 combattants libyens qui auraient rejoint les rangs de Daech en Syrie.
Est-ce que la négociation est le seul moyen pour mettre fin au conflit ?
La situation en Libye ne nécessite pas une intervention militaire à l’image de celle qui se prépare pour la Syrie ? Il ne faut pas comparer des situations différentes. La Libye est mûre pour une solution politique dans le cadre des Nations Unies et par un dialogue entre les différentes parties libyennes avec le soutien des pays limitrophes et de la communauté internationale. L’Algérie est pour une solution politique !
Abdelmalek Sellal a préconisé une solution globale face à Daech. Comment doit-elle se traduire ? La menace est globale. Donc, la réponse ne peut être que globale et cela veut dire une meilleure coordination au niveau international. Je pense que sur le terrain du Proche-Orient, en particulier en Syrie, la présence de la Russie va permettre de mieux équilibrer les réponses globales à cette menace. Cette coordination n’existait pas avant ? Elle était limitée en fonction des sélectivités des uns et des autres par rapport à leur situation interne et leur projection géostratégique.
Quel rôle doit jouer l’Algérie dans cette réponse ?
L’Algérie doit continuer à être ce qu’elle a toujours été et de faire ce qu’elle a toujours su faire. Je veux parler de l’importance de la souveraineté nationale, de l’indépendance de la décision, la non-ingérence dans les affaires d’autrui, le rejet de l’interférence. Nous ne voulons pas donner des leçons mais qu’on ne vienne pas nous dire ce qu’il faut faire !
L’Algérie peut-elle continuer à refuser toute implication militaire en dehors de ses frontières ? Notre pays est un pays continent de plus de deux millions de km². Si nous assurons par nos propres moyens la sécurité intérieure et extérieure de notre pays, nous rendrons service non seulement à la région, au continent mais à toute la communauté internationale. Elle n’accepterait pas de faire le gendarme de la région ? Nous ne faisons pas de politique en fonction de nos capacités, mais en fonction de nos valeurs et objectifs. Nous les fixons et déterminons pour le bénéfice exclusif de notre peuple !