Je n’ai appris que ce matin l’horreur qui, cette nuit, a submergé Paris. J’ai aussitôt pensé à Cécilia et à Clément. L’angoisse. Mais ils m’ont tranquillisé : ils étaient en Bretagne. Le sentiment d’horreur cependant persiste car j’imagine ce que peuvent ressentir des parents, des amis, sans nouvelles de leurs proches. La télévision annonce ce soi 129 morts et plus de 300 blessés dont certains très grièvement atteints. L’onde de choc de ce drame, sans précédent me semble-t-il, sera de longue portée. Il va marquer les Français pour une longue période; par le nombre de victimes; par le traumatisme subi par leurs proches; par ses conséquences dans la conscience de nos concitoyens. Depuis cette nuit, différents médias sollicitent la parole des auditeurs et des lecteurs et ce que j’entends me fait peur. Très peur. Ressortent dans leurs propos des expressions proférées en d’autres temps. « A mort les fellouzes »; « Les étrangers dehors »; « Ils nous ont foutu dehors et maintenant ils viennent nous attaquer en France… »; « Ouvrons des camps d’internement. »… L’ennemi c’est l’Etranger et singulièrement l’Arabe. Avant même de connaître qui sont les auteurs de ces crimes, certains montrent déjà du doigt l’ennemi supposé. Pour d’autres, c’est l’Islam ou les religions en général, rejoignant ainsi Marine Le Pen dans ses diatribes laïcardes et islamophobes. Je crains que la conscience de mes concitoyens n’en soit pour longtemps obscurcie et le visage de mon pays, terni, qui est de moins en moins celui des droits de l’homme. Car la cause de ces crimes n’est ni l’immigration ni l’Islam ni les religions en général. Celles-ci n’en sont, sous certaines interprétations, que des vecteurs. Je sais qu’il est difficile, quand on est submergé d’horreur et étreint par la douleur, de raisonner calmement. Pourtant interrogeons-nous : Pourquoi des jeunes hommes et des jeunes femmes éprouvent-ils une telle haine ? Pourquoi sont-ils prêts eux-mêmes à mourir en martyrs ? Quelles sont les raisons de la progression des idéologies mortifères négatrices de la vie humaine ? Quelle est la part des frustrations causées par les discriminations à l’emploi, au logement – ce que certains ont appelé la « ghettoïsation » ? Quelle est la part de la souffrance vécue face à la méfiance et au mépris dont les jeunes « issus de l’immigration » sont souvent l’objet ? Quelle est la part de l’islamophobie ? Quelle est la part du ressenti des guerres de la France en Libye, en Côte d’Ivoire et ailleurs ?
Voici à cet égard ce qu’écrit ce soir Pierre Barbancey, grand reporter au journal l’Humanité : « Je suis actuellement en Irak. Ce pays qui a été démembré, ses communautés et ses confessions jetées les unes contre les autres, par une guerre voulue par les Etats-Unis en 2003. C'est sur ce terreau que s'est développé Daech, l'organisation de l'Etat islamique. Des terroristes soutenus et aidés par des pays comme le Qatar, la Turquie et l'Arabie saoudite. Trois pays aux liens privilégiés avec la France qui leur vend des armes. Il faut pleurer les morts d'hier à Paris. Mais il faut aussi avoir en tête que les populations du Moyen-Orient vivent ce cauchemar au quotidien depuis des années. La France officielle fait des guerres: Libye, Mali, Centrafrique, Irak... Toujours sous des prétextes humanitaires. Ce qui est un leurre. La guerre n'a jamais rien réglé, au contraire. La guerre ne peut pas toujours se regarder à la télévision. Si on accepte qu'elle ait lieu ailleurs, alors il faut s'attendre à ce qu'elle nous revienne dans la gueule un jour. C'est pour cela qu'il faut la paix. Une politique internationale de la France dédiée à la paix, pas une politique de gendarme, vendeuse d'armes et de captation des richesses d'autres pays… »
Entendons-nous bien. Les terroristes et leurs complices doivent être combattus, si possible arrêtés et jugés. Mais cela ne saurait suffire. Il y a urgence à traiter le terreau sur lequel germe ce cancer. Ce que j’entends aujourd’hui des intentions du gouvernement Hollande-Valls qui s’orientent vers le « tout sécuritaire », m’inquiète.
Bernard DESCHAMPS 14/11/2015