Pour rien au monde je ne voulais manquer l’exposition de tapisseries présentée par le Musée de Lodève jusqu’au 1er novembre. J’ai découvert la tapisserie de haute et de basse lisse grâce à David Sol, céramiste à Aigues-Mortes, et à la galeriste Geneviève de Cinarca des Baux de Provence. Ce sont eux qui m’ont fait connaitre et apprécier les peintres cartonniers Jean Lurçat et Marc Saint Saëns dont nous avons, avec la municipalité d’Aigues-Mortes, organisé en 1963 et 1964, deux rétrospectives dans des salles des Remparts.
J’ai aimé d’emblée le jeu de la lumière sur la laine. Mais, contrairement aux années cinquante, soixante, de telles manifestations se font rares, au point que l’on a oublié qu’un des maîtres de la tapisserie contemporaine, Lucien Coutaud, était Gardois, né à Meynes en 1904. (La pluie et le beau temps, 1941, Pinton) Le Moyen-Age fut une période faste pour cet art destiné à habiller les murs immenses et froids des châteaux féodaux. Les siècles suivants sombrèrent dans l’imitation de la peinture de chevalet pour aboutir à la préciosité et au maniérisme des XVIIe et XVIIIe siècle. La tapisserie tomba alors en désuétude.
Le génie de Jean Lurçat et du groupe des peintres qui avec lui rénovèrent la tapisserie française : Marc Saint Saëns, Dom Robert, Jean Picart Le Doux… est d’avoir compris que cet art est mural par essence. La redécouverte de l’immense fresque de L’Apocalypse, dite d’Angers, du XIVe siècle, provoqua chez Jean Lurçat le choc qui le conduisit à rechercher une économie de moyens avec un nombre limité de couleurs et à composer en fonction des effets de la laine. Lurçat ne peignait pas ses cartons. Il les numérotait, chaque numéro correspondant à une couleur de laine. Il bannit la perspective, privilégia les grandes taches de couleurs et il reprit la technique médiévale des dégradés pour exprimer un nombre restreint de nuances. Cela confère à ses compositions une force et un relief saisissants. Ses soleils, ses étoiles, ses coqs et tout un bestiaire qui lui est propre n’ont rien perdu de leur modernité. Modernité également de ses sources d’inspiration : à L’Apocalypse répond son Chant du Monde qui exprime les angoisses, les drames et les espoirs du XXe siècle. L’Hôpital Saint Jean à Angers abrite ces deux œuvres majeures que j’ai eu le plaisir de faire découvrir, il y a quelques années, à un groupe de fonctionnaires de l’Action Sociale du Conseil Général du Gard lors d’un voyage d’étude. Ils furent émerveillés.
L’exposition de Lodève n’a pas la même dimension. Elle n’en est pas moins intéressante et ses promoteurs doivent être félicités de leur initiative. Les onze tentures exposées, de grande dimension, sur les murs aménagés à cet effet du Cellier des évêques, une annexe de la Cathédrale Saint-Fulcran, ont été tissées pour la plupart à Beauvais dans les années soixante, soixante-dix. Elles sont signées de Calder, Le Corbusier, Sonia Delaunay, Emile Gilioli, Miro, Serge Poliakoff, donc des contemporains et des continuateurs des « Pères » rénovateurs cités plus haut. (On disait de Lurçat qu’il était le Pape de la Laine…)
Ne la manquez pas. Elle se termine le 1er novembre.
Bernard DESCHAMPS
09 octobre 2015
Photo: Hirondelle d'amour de Joan Miro, exposée à Lodève.