Penser l’après…(Les éditions Arcane 17, mai 2015) est un ouvrage que nul ne peut ignorer, pour qui s’intéresse à la géopolitique et à l’avenir de l’humanité.
L’auteur – que j’ai le plaisir de connaître depuis de nombreuses années – et dont j’apprécie la rigueur intellectuelle, faisait partie de la remarquable équipe dont s’était entouré Jean Kanapa, le responsable de la section internationale du PCF dans les années 70. Responsabilité que Jacques Fath assuma ensuite de 2006 à 2013.
Le titre résume bien l’ouvrage. C’est à la fois un appel à ne pas subir le présent et à agir pour un autre avenir – un avenir de paix – et à ne pas raisonner avec les critères du passé, en sachant prendre en compte ce qui bouge dans le monde. Tout au long des pages, l’auteur enfonce le clou : « Il est nécessaire de comprendre ce qu’est le monde actuel et celui qui se prépare…» (P.5). « Nous avons changé de monde. Sommes-nous capables de « lire » ce nouveau monde ? » (P.19). Ce qui implique de rejeter les « concepts d’un passé révolu.» (P.173). Cela « bouscule les modes de pensée et les repères pour l’action. » (P.24). C’est une démarche qui se veut résolument non dogmatique. Dans le même temps: « Le nouveau l’emporte mais l’ancien subsiste. » (P.24).
Ainsi des « nouvelles guerres » étudiées par de nombreux chercheurs. (Voir sur ce blog, mon article du 28 février 2015: Que faut-il entendre par nouvelles guerres ?). "Ce qu’on appelle la guerre a changé de nature parce que les causes et le contexte qui les produit ne sont plus les mêmes.» (P.19). « Le monde que nous vivons est d’une configuration différente. Il est traversé de rivalités et de contradictions d’intérêts de puissances. » (P.11). « C’est un monde de multiples tensions et conflits qui n’ont que peu à voir avec ce que fut l’antagonisme Est-Ouest." (P.11). Ces « nouvelles « guerres » sont « le produit complexe de la pauvreté et du sous-développement et des logiques de puissances et des intérêts géopolitiques, économiques, énergétiques…» (P.56). La situation explosive qui se développe en Afrique, dans la région des Grands Lacs, exploitée par les entreprises multinationales et des puissances occidentales, en est une dangereuse illustration (Voir l’Humanité-Dimanche du 27 août 2015).
L’insécurité « est essentiellement liée à la pauvreté massive, au sous-développement, à la crise du capitalisme, ainsi qu’aux réponses économiques et stratégiques qui lui sont apportées : politiques d’austérité néolibérales, politiques d’ajustement structurel sous la pression des conditionnalités et des injonctions du FMI au Sud, mais aussi des interventions militaires au nom de l’urgence humanitaire et de la lutte contre le terrorisme. » (P.76). « La communauté internationale » (l’auteur met l’expression entre guillemets) doit donc désormais se fixer comme objectif d’engager « des dynamiques de développement humain durables et de reconstruction sociale, d’égalité, de démocratie, de souveraineté, de sécurité pour les peuples […] contribuer à un monde commun et solidaire, à un autre ordre international. » (P.10).
C’est le passage obligé pour faire reculer le terrorisme « islamiste ». L’auteur pose franchement la question : « Est-il possible de détruire l’adversaire ? » A laquelle il répond : « Un tel but de guerre est une illusion. » (P.63) et il dénonce : « les interventions militaires néo-impérialistes." (P.57); «les politiques occidentales de domination et de prédation. » (P.70); «…l’impasse des politiques de puissance, l’engrenage destructeur de l’instrumentalisation des forces – y compris les plus extrémistes – de l’islamisme politique, au point où ces forces doctrinaires deviennent des menaces directes pour les peuples. » (P.57). Jacques Fath fait sien le concept de « sécurité humaine », qui est à « contrepied de la conception traditionnelle fondée sur la sécurité de l’Etat, des frontières et des territoires, sur les capacités militaires et l’affirmation de la puissance.» (P.76). Politiques qui présentent en outre un risque considérable pour les libertés démocratiques, comme en atteste la loi sur le renseignement adoptée par une large majorité de l’Assemblée Nationale française le 5 mai 2015 et qui conforte son opinion. Jacques Fath soutient l’orientation que Kofi Annan, l’ancien secrétaire général de l’ONU proposait dès 2004 dans « Un monde plus sûr : notre affaire à tous » (P.63).
On lira avec intérêt les analyses très documentées qu’il nous livre sur « les nouvelles orientations» du FMI et de la Banque Mondiale (P.33 et suivantes); sur les guerres en Afghanistan, en Irak et en Libye qui est un « désastre sécuritaire sans précédent » (P.122); sur la situation en Ukraine qui n’est pas actuellement menacée d’invasion par Poutine (P.149); sur « les soulèvements populaires du « Printemps arabe » ; sur le drame de la Palestine (P. 83 à 114) au sujet duquel il estime que « les opinions publiques occidentales [sont] davantage sensibles aujourd’hui à l’illégitimité de la politique et à l’illégalité des guerres d’Israël. » (P.87). Par contre, il évoque ce qu’il appelle : « L’incapacité des régimes arabes, au-delà des discours, à prendre en charge la question de la Palestine du fait de leur dépendance vis-à-vis des puissances occidentales et de leur faiblesse vis-à-vis d’Israël… » (P.107). Une longue amitié avec Jacques Fath m’autorise à lui dire mon désaccord avec cette affirmation. C’est en effet mettre sur le même plan un Etat comme l’Algérie qui aide moralement, politiquement et matériellement le peuple palestinien dans son juste combat contre l’Etat d’Israël et des Etats de la région qui pactisent avec Israël.
Une part importante de l’ouvrage est consacrée à l’Europe : « Dans un alignement quasi systématique sur Washington, l’Union Européenne n’a qu’un poids international faible. Elle appuie et renforce l’OTAN… » (P.164). « Il faudrait nécessairement que les Européens puissent d’un même mouvement sortir de la logique libérale et des logiques de puissance." (P.167). Cette affirmation prend une résonance particulière après ce que vient de vivre la Grèce…Enfin, Jacques Fath se prononce pour la dissolution de l’OTAN (bras armé des Etats-Unis en Europe, ndlr) qui «prend le pas sur le rôle des pays de l’Union Européenne…» (P.167).
Le dernier chapitre (P.175 à 206) est consacré au risque nucléaire « dont les conséquences […] se situent à une échelle d’anéantissement humain et social.» (P.181). « Les armes nucléaires devraient être interdites, comme le sont les autres armes de destruction massive : armes chimiques et biologiques. » (P.206), et l’auteur conclut sur cette idée force qui irrigue l’ensemble de son livre: « Aujourd’hui, le besoin d’affirmer des valeurs universelles et des alternatives aux discours stratégiques fondés sur l’obsession de la puissance, se fait plus impératif. ».
Au total, à partir d’une analyse fouillée de l’état du monde, cet ouvrage de Jacques Fath est un appel réaliste à la lutte pour en modifier les règles. Stimulant.
Bernard DESCHAMPS
29 août 2015