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15 août 2015 6 15 /08 /août /2015 09:36
EN ALGERIE, IL Y A SOIXANTE ANS: LE 20 AOÛT 1955

20 Août 1955,LE TOURNANT DE LA GUERRE

in La guerre d’Algérie,

sous la direction d’Henri Alleg

(Les éditions Temps Actuels, avril 1981)

« Le 20 août 1955, second anniversaire de la déposition du Sultan du Maroc Sidi Mohammed Ben Youssef est un samedi. La grève générale est décidée au Maroc : elle s’accompagne de puissantes manifestations populaires dans la matinée. En Algérie, à midi, l’ALN a déclenché de nombreuses attaques dans toute la Zone 2. La première offensive algérienne d’envergure dans les villes révèle une préparation minutieuse, la présence d’effectifs réguliers importants, l’ampleur du soutien de la population. Elle marque un tournant de la guerre de libération algérienne, tant par son ampleur que par le choix des objectifs. Les insurgés s’en sont pris directement aux forces de répression : aux casernes, aux cantonnements, aux postes de gendarmerie et de police. Mais des coups très durs ont été portés en même temps à l’économie régionale. […] Les installations des mines de fer d’El-Halia ont été complètement anéanties ; celles des carrières de marbre de Fil-Fila détruites par le feu ; les usines de liège de la presqu’île de Collo incendiées ; des fermes et des exploitations agricoles ont dû être abandonnées. C’est « un bouleversement brusque et total ». […] Il n’y a aucun doute possible : l’armée de libération est présente sur l’ensemble du Nord-Constantinois. […] La répression est aveugle et massive. Le nombre des victimes algériennes des « nettoyages » ne peut être établi. Entre 2000 et 12000 selon les évaluations. […] Robert Lambotte envoyé spécial de L’Humanité, est, le 22, à Philippeville. Il écoute les récits des témoins : après les premières attaques les CRS et la Légion ont ouvert le feu à la mitraillette sur tout ce qui bouge, sur les terrasses des cafés maures, remplis de consommateurs un samedi à midi, en quelques secondes les clients sont couchés par les rafales. Des cadavres jonchent la chaussée. […] L’article de Lambotte paraît dans L’Humanité le 23 août. Le mercredi 24 ce journaliste est expulsé d’Algérie. L’éditorial de Pierre Courtade, dans L’Humanité du 24 est intitulé : « Faites cesser la terreur ! ». Pour la première fois durant la guerre d’Algérie L’Humanité est saisie. […] Le 24, L’Humanité dont un numéro spécial paraît en cours de journée, après la saisie du matin, et Le Monde relatent le massacre des habitants. […] Les conséquences des attaques du 20 août et de la répression haineuse et sanglante qui leur a répondu changent l’Algérie. En quelques semaines l’union nationale contre le régime colonial se soude. L’intégration est morte sans avoir vu le jour. Elle ne sera même plus un projet chimérique : un simple thème de propagande. L’explosion qui a jeté hors de leur apparent fatalisme les Algériens de la région des massacres de 1945, soumis à la loi la plus dure : celle des grands colons propriétaires terriens a été brutale et violente. 71 Européens ont été tués, des cadavres mutilés que les ultras exhibent pour camoufler le siècle d’horreurs obscures qu’ils veulent perpétuer et pour justifier la tuerie qu’ils méditent depuis novembre. En réponse, combien de milliers de victimes algériennes anonymes ? 1273 selon Soustelle, 12 000 selon le ministère des Anciens Moudjahidine. »
Henri Alleg

LE BASCULEMENT DANS LA GUERRE

par Sylvie Thénault (2005)

« À partir du 20 août 1955 et pendant trois jours, le soulèvement du nord-est du Constantinois voit maquisards et paysans agir de pair, l’ALN tentant d’encadrer les révoltés. Ils tendent des embuscades, barrent les routes, incendient les fermes, attaquent des villages, ainsi que la ville de Philippeville, épicentre du soulèvement et de sa répression. La foule armée de haches, de serpes, de gourdins, répète les gestes du 8 mai 1945. La tuerie d’El Halia, où vivaient une centaine d’Européens, près de la mine de fer et de la carrière de marbre exploitées par les ouvriers algériens, en est devenue le symbole : plus de trente Européens y ont été massacrés, dont dix enfants. Au total, les insurgés ont fait cent vingt-trois victimes, parmi lesquelles des Algériens modérés, dont le neveu de Ferhat Abbas, désigné comme cible à l’avance. Le bilan est donc proche de celui du 8 mai 1945 et la répression aussi disproportionnée, morts. Des exécutions sommaires sont pratiquées en masse par les militaires, notamment au stade de Philippeville, où ont été rassemblés des centaines d’hommes même si elle reste impossible à évaluer. Ses victimes se comptent par milliers, le FLN évoquant un total de douze mille. Le général Aussarresses, alors affecté dans le Constantinois et qui est intervenu, précisément, à El Halia, le jour même des tueries, relate comment quatre-vingts Algériens ont été exécutés sur place, et cent soixante autres faits prisonniers ensuite. Cette fois, l’armée est seule aux commandes, avec une totale liberté d’action. Le 23 août, en effet, le général Lorillot, commandant la 10-ème Région militaire - c’est-à-dire l’ensemble de l’Algérie - « prescrit » au général commandant la division de Constantine « de donner ordre aux cadres et troupes de conduire avec rigueur les opérations ». Levée une semaine plus tard, cette « prescription » redeviendrait valable « dans le cas où un mouvement insurrectionnel analogue à celui du 20 août éclaterait ». Les Européens, à qui, contrairement au 8 mai 1945 à Guelma, l’intervention des milices a été refusée, exorcisent leur frustration le jour des obsèques des victimes à Philippeville, en piétinant les gerbes officielles et en huant le préfet. Au cours d’une de ratonnades qui vont fréquemment accompagner, pendant la guerre, l’enterrement des victimes d’attentats ou d’assassinats, sept Algériens sont tués. Malgré ses points communs avec le 8 mai 1945, le 20 août 1955 s’en distingue radicalement par le fait que le soulèvement n’est pas spontané. Il a été décidé et préparé par Zighout Youssef, successeur de Mourad Didouche, tué en janvier 1955, à la tête du Nord-Constantinois. [...] Il s’agit, globalement, de relancer la « révolution algérienne » dont la situation devient « fort délicate » à l’approche de l’été. [...] Du côté français, la radicalisation du gouverneur général Jacques Soustelle, brillant ethnologue et grand résistant gaulliste, suit le soulèvement du Nord-Constantinois. Nommé en janvier 1955 pour accompagner la politique de réforme du gouvernement de Pierre Mendès France, réputé à l’écoute des options libérales, il s’en est détaché pour suivre un cheminement qui a fait de lui l’un des plus fervents partisans de l’Algérie française. Il défend la répression d’août 1955, une « riposte », selon ses mots, « sévère mais non aveuglément brutale ni inutilement sanglante», sans considération pour le déséquilibre du bilan, qu’il minimise en retenant l’hypothèse officielle de 1 273 morts algériens. Les mutilations infligées aux victimes et les assassinats d’enfants, dont il publie deux photos hors texte dans son ouvrage Aimée et souffrante Algérie, l’impressionnent au point qu’ils légitiment, à ses yeux, toutes les pratiques répressives. »
Sylvie Thénault
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