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27 octobre 2022 4 27 /10 /octobre /2022 19:09

A la mémoire de Pierre Soulages qui vient de nous quitter, cet article que j'avais écrit en 2015. Avec ma profonde admiration.

Bernard DESCHAMPS

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J’ai découvert Soulages tardivement. Comme tout le monde, je connaissais son nom. J’avais vu quelques reproductions qui ne m’avaient pas impressionné car elles ne rendent pas l’épaisseur de la matière sur laquelle joue la lumière. C’est à l’occasion d’une visite en Aveyron où « je suivais », comme on disait alors, la fédération communiste, que j’ai découvert les vitraux de l’Abbaye Sainte Foy de Conques. Ce fut un choc. Habitué aux vitraux-messages, prosélytes, dont certains sont certes émouvants de foi vécue (ce n’est pas mon cas), j’étais pour la première fois confronté à des vitraux qui n’exaltaient ni la vie ni le martyre du Christ et des Apôtres ni les Croisades. Le blanc des vitraux de Conques qui selon les heures se teinte du vert, de l’ocre, de l’orangé ou du bleu des pierres des murs ou de l’ardoise de la toiture, ne délivre pas de message, mais paraît nous éclairer de l’intérieur, comme pour révéler notre propre vérité. Faut-il y voir une matérialisation des changements introduits dans l’Eglise catholique par Vatican II ? Je ne suis pas certain que ce fut l’intention de Pierre Soulages, mais c’était dans l’air du temps dans les années 1987-1994, quand les 104 vitraux de Conques furent réalisés. C’est en 1962 qu’avait eu lieu le Concile Vatican II qui, pour la première fois, admettait que des êtres humains puissent être guidés par les « lumières de la raison ».

J’ai par la suite eu la chance de voir de nombreuses œuvres de Pierre Soulages. J’ai notamment été conquis par la présentation qui en est faite au Musée Fabre de Montpellier. Ses noirs me font rêver. J’ai hâte de faire la connaissance de la collection présentée par le nouveau musée de Rodez. Son musée.

Après la traversée des verts paysages de l’Aveyron, ponctués de loin en loin de villages et de châteaux aux fières et austères tourelles coiffées de lauze, je suis plongé sans transition dans l’abstraction. L’abstraction ? J’y reviendrai. L’intérêt de ce musée réside bien sûr dans le nombre important d’œuvres exposées, mais également en ce qu’il donne à voir de l’évolution de Soulages, depuis ses premiers tableaux (figuratifs) peints à l’âge de seize ans ; puis sa composition 81X100 de taches brunes, rousses, beiges et vertes avec des courbes blanches, refusée au Salon des Surindépendants de 1947 à Paris, ses calligraphies, ses outrenoirs, ses noirs et blancs… Le blanc qui revient souvent y compris ces dernières années : un clair-obscur en 1958; une clarté lointaine en 1967 ; le blanc de l’écume des vagues en 1999…

Dès l’entrée on est accueilli par un tableau de taille modeste, 81X130, du 18 novembre 2010, mais ô combien représentatif. Noir intense d’une pâte épaisse. Bandes verticales non rectilignes, aux écartements variés, alternativement plates ou striées horizontalement. Une salle est consacrée aux grandes compositions noires. Plusieurs salles présentent des calligraphies noires sur fond blanc. Dans toutes ou presque le brou de noix est présent. Le peintre de l’outrenoir est toujours resté fidèle au brou de noix de ses débuts avec infiniment de déclinaisons.

C’est un lieu commun de constater que toute création artistique acquiert une résonance singulière, donc se modifie, en fonction de l’auditeur, du lecteur ou du spectateur. Mais nulle œuvre, à mon sens, ne requiert comme celles de Soulages, l’intervention du spectateur. Par la grâce de l’artiste, cette chose la peinture n’est pas un moyen destiné à reproduire la réalité extérieure. Elle devient un objet en création permanente en fonction de la lumière, de l’œil du spectateur, de ses déplacements, de sa culture, de ses sentiments du moment. Sa peinture nous interpelle, nous renvoie à nous même. C’est peut-être le point commun avec les vitraux de Conques : elle s’adresse au spectateur non pour lui imposer une vision, mais pour l’aider à s’exprimer, à exprimer sa nature profonde.

En sortant du musée je suis allé à la Cathédrale (j’y vais toujours avec plaisir). Le contraste est saisissant. Les vitraux, fort beaux d’ailleurs, exaltent Jésus, sa Mère et les Saints, ainsi que Jeanne d’Arc et …les prisonniers de guerre français de la 2e guerre mondiale. Ils magnifient leur histoire et les donnent en exemple. Une phrase sur un pilier est à cet égard significative, s’adressant à Jésus : « Vous êtes la lumière du monde. » Soulages aurait pu, s’adressant à nous, en la paraphrasant, dire : « Vous êtes votre propre lumière. » Ce peintre abstrait au fond est formidablement humain.

Pierre Soulages est un peintre abstrait. « Je ne dépeins pas, je peins ». Ses tableaux ne sont pas imaginés avant d’être peints. Ils sont l’expression d’un moment plus ou moins long car l’on sait qu’il retouchait beaucoup. Cependant, ne peut-il se produire, qu’inconsciemment, tel ou tel évènement extérieur l’influence et trouve, indépendamment de sa volonté, son expression sur une toile ? Trois d’entre-elles, à cet égard, m’ont interpellé.

Peinture 130X97 du 20 décembre 1948 : ce tableau fait penser à une femme tenant contre elle un enfant.

Peinture 200X15 du 14 avril 1950 : de fortes barres noires qui évoquent une construction en chantier ou un échafaudage. Un an auparavant Fernand Léger avait réalisé « Les constructeurs ». La France était alors en pleine reconstruction après les dégâts causés par la guerre et par l’occupation.

Peinture 195X365 du 14 avril 1956: des planches noires empilées en un désordre assez effrayant qui peuvent être interprétées comme une défense anti-char ou comme le résultat d’une explosion, avec quelques taches rouges. En 1956, la guerre américaine fait rage en Indochine et en Algérie le gouvernement français s’enfonce dans une spirale de guerre. Mais peut-être n’est-ce que le fruit de mon imagination. N’ai-je pas écrit plus haut que la peinture de Soulages est destinée à être recréée par le spectateur ?

Ce musée fait honneur à la Ville de Rodez et au Département de l’Aveyron. La France profonde sait aussi produire de prestigieuses réalisations. En un moment où la décentralisation des institutions est remise en cause, il n’est peut-être pas inutile de le remarquer.

Bernard DESCHAMPS 3 juin 2015

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commentaires

J
Bernard tu me donnes trop envie d'aller à Rodez. Et puis non, en tous cas pas pour le moment, je me fie à ton regard, le mien ne saurait peut-être que regarder sans voir. C'est fou ce que grâce aux autres on accumule de richesses au cour de notre courte vie. Et comme le chantait si bien Jean Ferrat "Le temps d'apprendre à vivre....". Mais heureusement tant que le Vie est là il faut partager sans cesse, élargir jusqu’à l'infini son champs de vision au lieu de se recroqueviller sur des souvenirs figés. Dans un autre registre, est-ce un autre registre, le poème d'Annie Fiorio-Steiner écrit à Barberousse s'est imposé à ma sensibilité le 16 octobre dernier lors de la commémoration des 45-46 Fusillés par les allemands lors de la dernière guerre, dans une ancienne carrière d'Angers. Je ne vais pas reprendre ce que j'ai envoyé à mes contacts ici, ce n'est pas le lieu. Mais que tes lecteurs sachent simplement combien tu as enrichi ce texte que je connaissais déjà. Enrichi du nom et de la connaissance de son auteure, et surtout de la non hiérarchisation des trois résistants guillotinés ce matin là. Et non comme l'écrivent certains "Ce matin-là Fernand Iveton était guillotinés en même temps que deux autres militants algériens". Grâce à toi, sauf à titre d'exemple à ne jamais reproduire, je ne peux désormais qu'écrire soit "trois résistants" où soit les citer nommément tous les trois.
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