"Après la glaciation des relations sous Sarkozy, tous les observateurs ont noté l’amitié réciproque manifestée par les Présidents Bouteflika et Hollande. La photo ci-contre en porte témoignage. Comment expliquer cette compréhension mutuelle entre François Hollande le va-t-en-guerre, en pointe en Côte d’Ivoire, au Mali, en Syrie, en Iran, et Abdelaziz Bouteflika qui a refusé de s’engager dans la croisade de l’OTAN contre la Libye, dans l’expédition française au Mali, qui désapprouve l’attitude des Occidentaux en Syrie et à l’égard de l’Iran et qui refuse l’implantation d’une base américaine de commandement sur son territoire. Un Président proche d’Israël et le Président d’une nation qui soutient le Peuple palestinien ? Plusieurs raisons, à mon sens, peuvent expliquer ce qui apparaît comme un paradoxe. La première est le réalisme. Dans le cadre d’une politique générale qui vise à tout faire pour favoriser les groupes industriels français (Loi Macron…), le MEDEF et le pouvoir socialiste considèrent que l’Algérie est une opportunité à saisir. Au-delà des campagnes récurrentes de calomnies, ils savent ce qu’il en est réellement de la situation de l’Algérie. C’est une grande nation de près de 40 millions d’habitants dont le niveau de vie s’est amélioré ces dernières années après le terrible traumatisme de la décennie noire. C’est donc un marché en expansion. C’est un pays qui, tout en conservant un important secteur nationalisé (certaines entreprises privatisées dans les années 80 ont été renationalisées), s’est converti à l’économie de marché et favorise l’implantation de sociétés étrangères sur son sol. La condition imposée par l’Algérie de conserver la majorité de 51% de leur capital qui, un temps fut un frein, est désormais acceptée par les entreprises étrangères. Enfin les institutions de l’Etat algérien sont solides comme elles l’ont démontré en surmontant la tragédie des années noires 80-90. L’Algérie est aujourd’hui un pays sûr, à mon sens le plus sûr du Maghreb, et l’expérience douloureuse acquise dans le combat contre AQMI est utile à la France. François Hollande est donc décidé à apurer le passé et, bien que cela soit encore insuffisant, il est le Président français qui est allé le plus loin dans la condamnation du colonialisme. Les arrière-pensées électorales ne sont pas non plus étrangères à son attitude. Dans sa reconquête de l’opinion publique française, il tient à adresser un signe positif aux quelque 4 millions de Franco-Algériens qui vivent en France (estimation du professeur Gilbert Meynier) et il connaît bien leur état d’esprit. Il sait l’affection qu’ils portent au Président Bouteflika en dépit des critiques portées par l’opposition algérienne qui reste très minoritaire. Je crois, en outre, qu’il aime l’Algérie, pour diverses raisons qui tiennent à son histoire familiale. Il a donc le feeling et les Algériens y sont sensibles. Cela va-t-il dans le sens des intérêts des Peuples algérien et français ? Oui, je le pense. Bien que les motivations soient égoïstes, il est infiniment positif que les relations économiques, culturelles, politiques se développent entre nos deux nations. Elles peuvent contribuer à l’essor de l’une et de l’autre si cette coopération est équitable donc mutuellement avantageuse. Les entreprises françaises implantées en Algérie emploient 140 000 personnes dans un pays où le chômage était dramatique et ces implantations les ont confortées face à leurs concurrents. Cette attitude de la France ne peut en outre que favoriser un climat de nature à faire reculer le racisme anti-algérien entretenu par les revanchards nostalgiques de l’Algérie française. Je me réjouis de ces perspectives nouvelles qui se singularisent dans un paysage politique français marqué par une politique droitière en rupture avec les engagements électoraux du candidat Hollande."
Bernard DESCHAMPS 16 juin 2015