" Cet ouvrage récent (La Découverte, avril 2015) de l’historien Alain Ruscio nous remet en mémoire les crimes de l’OAS qui ensanglantèrent la France et l’Algérie dans les années 60, pour s’opposer à l’Indépendance de l’Algérie. Les participants au colloque d’historiens que nous avions organisé en 2012 sur le thème « La fédération de France du FLN, 1954-1962 » se souviennent de la haine exprimée par les quelque 600 manifestants venus de tout le sud de la France qui brandissaient des pancartes «fellouzes dehors». Comment expliquer, cinquante après, "L’étonnante persistance des « nostalgiques » de l’OAS dans la France contemporaine qui pensent encore détenir la vérité sur leur histoire ? » La permanence de cette mémoire décomplexée est le sujet de l’étude d’Alain Ruscio. Son livre qui retrace l’histoire de l’OAS; du terrain sur lequel elle s’est développée; de ses fondements; des hommes (très peu de femmes) qui l’ont portée; des organisations qui perpétuent aujourd’hui cette mémoire, est d’une grande richesse et permet à celles/ceux qui ont vécu cette époque troublée de situer dans leur perspective, les évènements auxquels ils ont assisté. Et aux plus jeunes de prendre contact avec une page d’histoire qui marque encore notre présent. A la base il y a la population d’origine européenne d’Algérie, ceux que l’on appelait les Pieds-noirs. Plus de 70% - selon toutes les études – approuvaient et pour certains soutenaient l’OAS, à partir d’une « mentalité d’assiégés », dans un pays où ils étaient très minoritaires, face à une population arabo-berbéro musulmane qu’ils ressentaient, selon les termes d’Albert Camus, comme « une menace invisible ». 70% c’est considérable. Cela signifie aussi que 30% des Pieds-noirs n’approuvaient pas l’OAS. 200 000 d’entre eux sur 1 million restèrent d’ailleurs en Algérie après l’indépendance comme l’a récemment rappelé Pierre Daum dans « Ni valise, ni cercueil ». Cette population d’origine européenne qui, à part les gros colons, était souvent de condition modeste, vivait cependant mieux (salaires, soins médicaux, etc) que « les indigènes »; elle pouvait faire des études; elle disposait de privilèges et de droits refusés au reste de la population qu’elle considérait comme des « êtres inférieurs » auxquels les plus « généreux » pensaient qu’il fallait apporter la « civilisation ». Le racisme ordinaire. Aussi bien à Mostaganem qu’à Alger, elle n’entendit dans les paroles de De Gaulle, que ce qu’elle souhaitait entendre : « Je vous ai compris. », « Vive l’Algérie française ». Alain Ruscio rappelle (P. 82) la suite de ces discours « une seule catégorie d’habitants […] des Français à part entière» qui contredisait les conceptions racistes de la majorité des «Français d’Algérie». Ce que ces derniers n’ont pas entendu. Ce malentendu nourrira ensuite toutes les rancoeurs sur la base d’un attachement « tripal » à ce pays l’Algérie qu’ils considéraient comme le leur. On lira avec intérêt les conditions dans lesquelles De Gaulle accéda au pouvoir, porté par le coup d’Etat militaire du 13 mai 1958 en Algérie et comment il manipula (?) ou laissa faire les factieux. L’auteur cite des noms, dont certains surprendront les lecteurs. La création de l’OAS (Organisation Armée Secrète) ne fut pas qu’une réaction – d’ailleurs assez désordonnée – de quelques Pieds-noirs jusqu’au-boutistes, elle fut une organisation structurée à laquelle participèrent des militaires, des officiers supérieurs (Salan, Jouhaud, Challes, Zeller, Faure, Gardes, etc) qui l’encadrèrent et qui s’appuya dès l’origine sur le régime de Franco en Espagne et sur l’extrême-droite en France (Jeune Nation, Jean-Marie Le Pen…), avec des complicités dans les plus hautes sphères de l’Etat français : Achiary, le sous-préfet-bourreau de Guelma qui passa de la SFIO à l’OAS et beaucoup d’autres parmi lesquels les lecteurs découvriront quelqu’un qui deviendra Président de la République Française, Valéry Giscard d’Estaing et d’autres qui jouent encore aujourd’hui en France un rôle politique. Le chef de l’OAS, le Général Raoul Salan était le frère d’un Nîmois, le Docteur Georges Salan qui fut Résistant et Déporté au camp de concentration de Buchenwald ; un gaulliste favorable à l’indépendance de l’Algérie. Le Docteur Salan a raconté son parcours et ses combats dans "Prisons de France et Bagnes Allemands » (Editions de La Capitelle, Uzès, 1946) dont je possède un exemplaire dédicacé à Annie mon épouse qui a travaillé avec lui pendant une dizaine d’années. Cette organisation criminelle mit la France et l’Algérie à feu et à sang avant et après la signature des Accords d’Evian le 18 mars 1962, par les représentants de l’Etat français et par ceux du G.P.R.A. (FLN), qui reconnaissaient le droit à l’Indépendance du Peuple algérien. Les ennemis à abattre étaient les « Musulmans », les « communo-gaullo-russophiles » et De Gaulle qui échappa à plusieurs attentats parmi lesquels les plus connus furent ceux du Pont-de-Seine dans l’Aube le 8 septembre 1961 et du Petit-Clamart le 22 août 1962. Les études entreprises depuis estiment que le nombre de tués par l’OAS se situe entre 1600 et 2400 dont 80% à 85% de « musulmans ». (P.253). L’auteur apporte d’utiles précisions sur la responsabilité de l’OAS dans les drames de la Rue d’Isly le 26 mars 1962 à Alger et du 5 juillet 1962 à Oran. Le chef de l’OAS en France (OAS-Métro), était Pierre Sergent, deux fois condamné à mort par contumace en 1962 et 1964, qui après l’amnistie sera élu député du Front National en 1986. J’étais également député (PCF) et j’ai eu avec lui au Palais Bourbon des échanges verbaux musclés qui sont notamment retranscrits intégralement dans le compte-rendu de la 2e séance du 7 juillet 1987 (N°54 du Journal Officiel des débats de l’Assemblée Nationale).
« Pourquoi - s’interroge l’auteur –ces criminels sont-ils toujours entendus ? ». Alain Ruscio pointe un certain nombre de raisons qui, à ses yeux, expliquent ce phénomène : la nostalgie des nombreux Pieds-noirs vivant en France; la perte de ce qu’ils considéraient comme leur Patrie (Nostalgérie); les lobbies qui se servent de ce fonds de commerce; la porosité entre la droite et l’extrême-droite; la « lecture partiale d’un bilan mettant en avant « les aspects positifs [de la colonisation]» (P.241) ; « les multiples échecs des pays nouvellement indépendants »(P.247); la présence des immigrés algériens et de leurs enfants qui ont fait souche en France et dont la présence nourrirait le racisme de ceux/celles qui se considèrent comme des « Français de souche" ». Ces trois dernières idées me gênent. On pourrait en conclure que pour faire reculer le racisme il faut réduire le nombre de personnes d’ascendance étrangère vivant en France. Je sais que ce n’est pas l’idée de mon ami Jean Ruscio, mais ce passage (P.247-248) me parait maladroit. Les indépendances, un échec ? L’accession de l’Algérie à l’indépendance a permis l’émancipation de son Peuple et des progrès sociaux, culturels, économiques considérables. L’histoire des peuples est faite de reculs et d’avancées. La Révolution française de 1789 fut-elle un échec parce qu’il y eut par la suite Thermidor, Bonaparte, la Restauration et plus près de nous Vichy ? Les remises en cause ne sont jamais irréversibles. En France, après Vichy il y eut les avancées de la Libération. Quant au bilan de la colonisation, je pense qu’il ne comporte aucun « aspect positif ». L’attitude positive de certains Français en Algérie et en France le fut en opposition à l’oppression coloniale. Mon ami Jean Ruscio écrit page 241 : « Nous sommes entrés dans l’ère de la restauration coloniale. » Je partage cette idée. Et il ajoute : «Restauration certes seulement idéologique, plus personne ne songeant à (re)partir à l’assaut des continents africains et asiatiques. » Cela mérite réflexion. Certes l’histoire ne se répète jamais à l’identique. Mais ces dernières années sont marquées par de nombreuses guerres engagées par les armées occidentales en Afghanistan, en Irak, en Côte d’Ivoire, en Lybie, au Mali, etc, qui sous de nobles prétextes visaient à instaurer dans ces pays un ordre « occidental » et à mettre en place des dirigeants dociles, au service des intérêts des féodalités financières et industrielles mondiales. La raréfaction des sources d’énergie aiguise leurs appétits. L’Algérie n’est pas à l’abri de ces visées. Comme me le disait récemment un ami algérien : « Cela n’arrive pas qu’aux autres ». Les thèmes revanchards visent à créer dans l’opinion publique française un climat favorable à de nouvelles aventures militaires. Mais l’Algérie est devenue une nation puissante dont le peuple est profondément patriote. Une Nation dotée, contrairement à d’autres, d’une armée indépendante, bien équipée et entraînée. Si certains rêvent de sa reconquête, ils s’y casseront les dents. Nostalgérie est un ouvrage passionnant qui réunit une masse d’informations précieuses et qui invite au débat.
Bernard DESCHAMPS 9 juin 2015