La photo prise le 8 mai 1945 les montre en habits du dimanche pour fêter la victoire. Mon beau-père Daniel, le papa d’Annie avait même un nœud papillon. Après les six années d’occupation, d’humiliations, de souffrances et de combats, la France s’était enfin libérée de l’hydre nazie et la joie était immense. En Algérie aussi où des foules considérables fêtaient la victoire en espérant être libérées du joug du colonialisme. Mais à Sétif, à Guelma et à Kherrata la fête allait se transformer en cauchemar : 45 000 morts algériens, selon le Consulat Général des Etats-Unis, allaient être victimes de la répression coloniale à la suite de l’émeute provoquée par l’assassinat du porteur du drapeau vert, blanc, rouge, le futur drapeau de l’Algérie indépendante. Mais Daniel et ses camarades ne le savaient pas. Ils ne l’apprendront que beaucoup plus tard et de façon incomplète, volontairement tronquée. Un crime et un mensonge d’Etat. Je rappelle cette douloureuse et sombre page d’histoire en ce 8 mai 2015. M. Mohamed SEOUDI, Consul d’Algérie et de nombreux amis ont répondu à l’invitation conjointe de France-El Djazaïr et de notre famille et sont présents au pied du cèdre planté il y a 70 ans dans notre jardin par Daniel MOURGUES pour marquer cette journée historique. Je salue particulièrement la présence hautement symbolique de Mme Betty JALAGUIER, ancienne Résistante française et du Moudjahid, ancien footballer professionnel M. Mohamed BOURICHA qui quitta clandestinement Nîmes en 1958 pour rejoindre à Tunis la « Glorieuse équipe de foot du FLN » qui sera l’ambassadrice dans le Monde entier de la lutte du Peuple algérien pour son indépendance. Daniel MOURDUES avait 44 ans en 1945. Issu d’une famille nombreuse pauvre de Soudorgues dans les Cévennes, il avait été embauché au PLM à Alès avant d’être affecté à Lyon et de revenir dans le Gard à Nîmes au dépôt des machines. Dès le début de la guerre il s’était engagé dans les rangs des Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) créés à l’initiative du Parti communiste Français. Un diplôme de reconnaissance lui sera décerné le 29 août 1944 par Charles TILLON, Président du Comité Militaire National des FTP, en qualité de 2e classe matricule n° 73 055. La famille MOURGUES-FAYET compta plusieurs Résistants : Maurice FAYET, « Fabien » de son nom de guerre, le papa de Sylvette FAYET ; Hubert FAYET le papa de Mireille FAYET-THEROND qui était au maquis de L’Espérou avec le Pasteur Olivès et une plaque en souvenir des FTP est gravée sur un mur du Mas du Sarailler à Colognac. Les Algériens avaient eux aussi décidé de célébrer la victoire sur le régime hitlérien avec leur drapeau et leurs mots d’ordre : Algérie indépendante, Libérez Messali… (Messali Hadj le leader du PPA était en effet ainsi que d’autres dirigeants toujours emprisonné). Ces manifestations étaient pacifiques. La direction du PPA avait refusé de suivre ceux qui voulaient les transformer en manifestations insurrectionnelles. Elle avait interdit aux participants de porter une arme. La mort du porteur du drapeau algérien à Sétif abattu vraisemblablement par un policier français déclencha l’émeute qui fut horriblement réprimée dans le sang. Comment expliquer l’ampleur et la cruauté de la répression alors que le Gouvernement de la Libération présidé par le Général de Gaulle était composé d’anciens Résistants qui avaient subi les affres de l’occupation et qui pour certains avaient été torturés et déportés ? Les partis représentés, le parti gaulliste, la SFIO, le parti radical, l’UDSR, le MRP et le PCF n’étaient pas acquis en 1945 à l’idée de reconnaître l’indépendance des colonies. Y compris donc le Parti Communiste Français. Un de ses dirigeants nationaux Etienne FAJON que nous connaissons bien en Languedoc-Roussillon déclara alors: « La sécession serait dans les conditions du moment un drame » et l’organe central du PCF, l’Humanité approuva l’arrestation de Ferhat Abbas, le futur Président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (1958-1961), persuadé que les manifestations qui s’étaient déroulées le 8 mai en Algérie avaient été manipulées par des hitlériens. LE PCF évoluera et il sera après le 1er novembre 1954 un des principaux animateurs du combat en France pour l’indépendance de l’Algérie, mais en 1945, il est passé à côté des aspirations nationales des peuples coloniaux. J’ai rappelé ce point d’histoire dans l’allocution que j’ai prononcée au nom de notre famille après que Oucine BENCHOUYEB notre nouveau et dynamique Président de France-El Djazaïr eut remercié les participants à cette cérémonie, rappelé le programme de la journée et annoncé la conférence du Professeur Gilbert MEYNIER le jeudi 28 mai. M. le Consul et Oucine ont ensuite dévoilé la plaque qui rappelle que le cèdre de notre jardin a été planté le 8 mai 1945 par le Résistant FTPF Daniel MOURGUES. Chacun s’est ensuite recueilli pendant les hymnes, Kassaman et La Marseillaise, tandis que les drapeaux des deux nations flottaient comme chaque 8 mai sur le balcon de notre maison. Après ces moments d’émotion, le copieux apéritif, avec et sans alcool, et la paëlla hallal préparée par un ami ancien Pied-noir d’Oran, Guy GILLES, et servie sous les frais ombrages de notre jardin, furent les bienvenus. De l’avis des convives, cette paëlla cuite sur place et qui embaumait depuis les premières heures de la matinée, est la meilleure, la plus goûteuse qu’ils aient jamais dégustée. Un grand merci à Guy GILLES. Cette journée du Souvenir allait être couronnée par la projection tant attendue du film de Mariem Hamidat : « Mémoires du 8 mai 1945 » Nous connaissons et apprécions Mariem dont nous avons ces dernières années présenté: « Portraits de femmes » et « Et nous devînmes étrangers sur notre terre », dans le cadre du Panorama du Cinéma algérien. La salle de la Maison du Protestantisme était quasi pleine pour cette projection animée par le cinéaste, notre ami, Jean ASSELMEYER. Divers documentaires existent sur le 8 mai 1945 en Algérie. Mais celui-ci qui date de 2007 ne constitue pas une redite ; la réalisatrice en effet a pris le parti de recueillir la parole de gens « ordinaires » de Sétif et des environs qui ont vécu, la plupart sans avoir de responsabilités, ces jours tragiques. Et ils disent avec des mots simples ce qu’ils ont ressenti, le souvenir qu’ils en ont conservé. Chez ces témoins et ces acteurs et actrices, nulle prétention à la vérité historique, mais leur parole singulière contribue dans la complémentarité des témoignages à approcher celle-ci. Un grand moment de cinéma, d’émotion et d’invitation à la réflexion qui est ensuite prolongé par les interventions de spectatrices et de spectateurs sollicités par Jean ASSELMEYER. Cette grande, belle et riche journée sera clôturée par le Président de France-El Djazaïr Oucine BENCHOUYEB qui remerciera la Maison du Protestantisme de son accueil et présentera les membres du nouveau conseil d’administration de notre association élus le 30 janvier dernier : ASSELMEYER Jean, BENCHOUYEB Oucine, BERTHIER Michel, CLEC’H Pierre, MAHOUCHE Youcef, MEZGHENA Saïd, DURAND Marianne, GHARBI Sadok, TOURKI Ali, ZITOUNI Abdelaziz, qui ont été applaudis et félicités par la salle pour cette journée réussie. Bernard DESCHAMPS 09 mai 2015