36 000 ans ! Ce saut dans le passé donne le vertige. Cela représente au minimum entre 600 et 800 générations humaines, alors que nous éprouvons des difficultés à imaginer la vie de nos arrières-arrières grands-parents. Nos lointains ancêtres qui habitaient cette région ne cheminaient pas comme aujourd’hui au milieu des buis et des chênes verts. Le climat, nous disent les scientifiques, était à cette époque, l’équivalent de celui du sud de la Norvège. Le sol souvent recouvert de glace était aride. Les hommes étaient peu nombreux dans un environnement peuplé d’animaux sauvages. J’imagine les sentiments éprouvés par les découvreurs de la grotte en pénétrant dans un lieu jusqu’alors inviolé. L’impression d’entrer par effraction dans un autre monde plein d’inconnu. Les vastes salles habillées de concrétions beiges ou orangées ont des allures fantomatiques avec leurs zones d’ombre malgré l’éclairage. La lueur des torches à l’époque de leurs occupants devait encore accentuer cette impression. Et nous découvrons un émouvant ensemble d’empreintes de mains imprimées sur la pierre et un fabuleux bestiaire, ours, aurochs, bisons, panthères, rhinocéros, cerfs, bouquetins, lions sans crinière, hyènes, chevaux et un grand-duc qui nous surveille. Nous tombons en arrêt devant une panthère mouchetée, au trait sûr. Nous sommes subjugués par le troupeau de rhinocéros qui déboulent sous nos yeux. Ils sont réellement en mouvement, de même que la poursuite sauvage des bisons par les lions. Au sol des ossements. Dans un angle, les restes d’un feu de bois. Sur les parois des griffures d’ours dont l’incrustation profonde dans la pierre témoigne d’une force à la mesure de leur taille qui atteignait trois mètres. On comprend la frayeur qu’ils inspiraient à l’homme qui évitait de les affronter et ne pénétrait dans ces cavernes qu’en leur absence. La perfection de ces représentations qui souvent épousent la forme ou la courbure de la roche leur conférant ainsi vérité et puissance, nous surprend. Ces hommes que l’on dit primitifs étaient de véritables artistes dont la technique – la maitrise de la perspective et l’emploi judicieux de l’estompe par exemple - leur permettait de s’exprimer avec un réalisme surprenant. La vérité des yeux. L’acuité des regards. Cette maîtrise ne pouvait être que le fruit d’un long entraînement. Le résultat d’un enseignement ? Pourquoi peignaient-ils ? S’identifiaient-ils ainsi à leurs modèles dont ils admiraient et enviaient peut-être la force, l’agilité, l’intelligence ? Etait-ce un moyen à leurs yeux de les soumettre à leur propre volonté ? Ou bien leur conféraient-ils des vertus exceptionnelles et inaccessibles qui les apparentaient à des puissances supérieures ? La découverte de ces trésors d’intelligence et de capacités créatives invitent à la réflexion et incitent à l’humilité. Qu’est-ce que l’évolution ? Sommes-nous meilleurs aujourd’hui qu’hier ? Pas évident (Migrants en Méditerranée). Davantage d’outils créés par l’homme sont à notre disposition, pour le meilleur comme pour le pire (Hiroshima, Nagasaki…) Nos lointains ancêtres qui peignaient et sculptaient ne disposaient pas des matières et des outils dont nous disposons, mais leur sensibilité et leur habileté n’étaient pas moindres. En ces temps actuels d’intolérance, de rejet de l’autre, il ne m’est pas indifférent de savoir que ces artistes des temps anciens qui ornèrent nos grottes avaient leurs origines en Afrique et au Proche-Orient. Bernard DESCHAMPS 13 mai 2015