~~Nous avions dix-sept ans et nous vivions dans le culte des héros de la Résistance au nazisme. Et nous apprenions que là-bas, très loin vers l’Est, dans cet Extrême-Orient mystérieux, des Communistes, eux-aussi se battaient pour libérer leur pays l’Indochine occupée par la France. Je n’étais pas communiste, mais d’emblée je m’identifiai à ces combattants lointains et cependant si proches. En ces temps portés par un puissant élan progressiste, les jeunes Français étaient nombreux à éprouver ces mêmes sentiments. C’était le cas d’Henri Martin, de quelques années notre aîné qui, après la Résistance, s’était engagé pour terminer la guerre jusqu’à la défaite du régime nazi. Mais c’est en Indochine que les autorités françaises avaient décidé de l’envoyer se battre. Contre son gré. En contradiction avec son idéal de libération humaine. Jeune quartier-maître dans la Marine, à Toulon, il distribuait les tracts du Parti communiste Français pour dénoncer cette guerre injuste faite à un Peuple qui, comme nous, aspirait à juste titre à son indépendance. Cela était insupportable à la hiérarchie militaire qui, pour faire un exemple, l’accusa de sabotage d’un navire de guerre, basé dans la rade, Le Dixmude.
Henri devint notre héros et des dizaines de milliers d’inscriptions Libérez Henri Martin, fleurirent sur les murs de France qui, de longues années après, en portaient encore le témoignage. Avec quelques amis, élèves-maitres comme moi à l’Ecole normale d’instituteurs de Parthenay (où enseigna Ernest Perochon), nous décidâmes une nuit, d’aller peindre cette inscription vengeresse sur la paroi du bassin du château d’eau situé près de la gare SNCF en face de l’usine Panzani qui n’était pas encore la multinationale qu’elle deviendra par la suite. On imagine le retentissement dans cette petite ville de Gâtine qui ne comptait guère plus de 8 000 habitants à l’époque. Ce fut ma première action militante. Bien évidemment les normaliens furent aussitôt suspectés d’être les auteurs de cet acte séditieux, mais notre directeur se porta garant de nous, affirmant que nous n’avions pas quitté l’école cette nuit-là. Il avait la réputation d’être socialisant. Je n’ai jamais su s’il était adhérent de la SFIO.
Ainsi pour moi, Henri Martin, c’est d’abord une inscription à la chaux sur un mur. Si vous interrogez des militants de mon âge, beaucoup vous raconteront des anecdotes semblables. Avec un peu de chance, vous en retrouverez peut-être qui se souviendront avoir participé, suspendus au-dessus du vide, à une inscription sur le tablier du viaduc de la route d’Alès à Nîmes. Dans le Gard, département de réboussiers, de rebelles, (le département de Roux le bandit), la campagne pour la libération d’Henri Martin qui dura plusieurs années jusqu’à sa sortie de prison en 1953, revêtit en effet une grande ampleur. Au point qu’un député MRP, Edouard Thibault, se prononça pour « son élargissement ». Un militant communiste Gabriel Bergonnier, alors responsable départemental du Secours Populaire, fut particulièrement actif dans cette campagne.
J’effectuais mon service militaire à Saint-Maixent quand le Corps expéditionnaire français fut décimé à Diên Biên Phu par les troupes du Général Giap et que Pierre Mendes France décida d’engager des négociations de paix qui aboutirent aux Accords de Genève en juillet 1954. Mais auparavant deux va-t-en guerre, les Généraux Eli et Salan – le Salan qui créa par la suite l’OAS afin de s’opposer à l’indépendance de l’Algérie – rédigèrent un rapport qui préconisait l’envoi en Indochine des « appelés » du contingent. Sans attendre une décision officielle du gouvernement français, le Général Faure – le futur putschiste - qui commandait Saint-Maixent, décida d’entreprendre notre formation, ce qui souleva une intense émotion parmi nous bidasses qui aspirions à la quille au plus tôt. Avec deux amis de chambrée, Guy Salot et Jean-Pierre Archambault de Vençais, nous avons alors organisé une manifestation dans les rues de Saint Maixent qui me valut personnellement quatre mois de prison dont une partie dans le froid des casemates de la ligne Maginot à Bitche où je fus muté « disciplinaire ». J’ai relaté cet épisode, avec l’aide de mes deux amis, sur ce blog dans Mes guerres coloniales.(voir Pages).
Il y aura par la suite, l’Algérie, dont je soutiendrai le combat pour l’indépendance et dont je deviendrai amoureux. Il y aura un autre Henri, Henri Alleg qui fut lui aussi un ami, mais c’est avec Henri Martin que j’ai pour la première fois éprouvé un sentiment de révolte contre le colonialisme. C’est son exemple qui me conduisit à adhérer au Parti Communiste Français et je le retrouverai bien des années plus tard au Comité Central du Parti.
Deux Henri qui ont compté dans ma vie nous ont quittés, l’un il y a un an, l‘autre hier et je le vis comme une amputation, mais après la profonde tristesse des premières heures, j’ai conscience que nous avons eu beaucoup de chance d’avoir parmi nous, à nos côtés, des êtres de cette qualité dont l’exemple continue de vivre. Je souhaite à mes jeunes camarades d’avoir autant de chance que nous.
Bernard DESCHAMPS
Nîmes, Montaury, 17 février 2015