ALGERIE, L’OPINION DE LOUISA HANOUNE (P.T.-trotskiste)
La Secrétaire générale du Parti des Travailleurs (24 députés à l’APN, Assemblée Nationale Populaire) a répondu le 19 février à une longue interview du quotidien El Watan. Quelle que soit l’opinion que l’on ait de ce parti, il n’est pas inutile de connaître son opinion sur les sujets d’actualité en Algérie et…en France.(Le choix des extraits et les intertitres sont de ma responsabilité, BD).
Sur la crise du capitalisme :
« Beaucoup de choses se sont passées depuis l’élection présidentielle à l’échelle du monde, sur le plan régional et dans notre pays également. Nous ne vivons pas en autarcie. Et si, jusqu’à il n’y a pas longtemps, nous étions plus ou moins en dehors de la crise du système capitaliste et de ses impacts terrifiants, maintenant nous sommes rattrapés »
L’attachement des Algériens à la Paix et à la Souveraineté nationale :
« Le 17 avril 2014 s’est exprimé chez l’ensemble des Algériennes et des Algériens — quel que soit le choix de chacun, ceux qui ont voté tout comme ceux qui se sont abstenus — donc à l’unanimité le peuple a décrété la chose suivante : il n’y aura pas de chaos en Algérie, pas de printemps arabe, parce que tout le monde voit maintenant qu’il s’agit, en fait, de chaos. C’était grandiose comme démonstration, pour nous-mêmes et pour le reste du monde. Rappelez-vous le discours qui consistait à dire, aux USA et en France notamment, que l’Algérie allait sombrer dans le chaos le 17 avril. » « Eh bien non, le peuple algérien a dressé un rempart, affirmant que l’intégrité de ce pays, son indépendance et la souveraineté nationale sont la ligne rouge. Nous ne serons ni la Côte d’Ivoire ni le Kenya et encore moins la Libye ou la Syrie. Partant de là, le peuple algérien ayant pris ses responsabilités, il est tout à fait normal que chacun attende qu’on réponde à ses aspirations sur le terrain économique et social. Des choses positives et d’autres négatives. « Parce que même si beaucoup de choses ont été faites dans le cadre de la reconstruction du pays, de la relance de l’économie, du développement humain, les frustrations demeurent pour de larges couches dans la société, des disparités énormes persistent, car les acquis sociaux arrachés, qui étaient le produit de grèves et autres mouvements sociaux, n’ont pas été suivis d’une refonte de la politique sociale et salariale. » « En 2009, le Président a réorienté l’économie nationale, a stoppé les privatisations, corrigé le partenariat avec les étrangers par la règle des 51/49%, a introduit la préférence nationale, le droit de préemption pour l’Etat dans le cadre d’un plan de relance économique… et nous sommes pour quelque chose dans cela. Il a corrigé et cela été salvateur pour plusieurs secteurs. (J’avais en leur temps souligné ces avancées, BD) Mais certains ministres à l’intérieur du gouvernement, agissant pour le compte de leurs amis à l’extérieur, n’ont pas respecté cette orientation et veulent aujourd’hui la remettre en cause totalement. » « Quand on sait qu’il y a encore des familles entières qui «vivent» avec 3000 DA ou que des dizaines, voire des centaines de milliers d’Algériens travaillent depuis 20 ans pour 6000 DA alors qu’il y a des gens qui brassent des milliards pompés des fonds publics, des banques publiques et à travers le patrimoine public quand on arrive à un tel écart si provocateur, il faut s’attendre à tout, parce que cela devient insupportable. »
Sur les prédateurs qui sévissent en Algérie :
« Tous les nouveaux riches qu’on voit autour de nous ont fait leur beurre à la faveur du système du parti unique et, après, ils ont profité des privatisations, du Plan d’ajustement structurel et même du terrorisme. » « Pendant que les Algériennes et les Algériens mouraient, que l’Etat concentrait son action dans la lutte contre le terrorisme, certains ont amassé des fortunes colossales avec la politique de bazardisation de l’économie et des soutiens à l’intérieur des institutions. » « Les diplômés, les travailleurs qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts sont découragés quand ils voient les nouveaux riches arrogants, sans culture, exhibant le clinquant, les grosses voitures. C’est de la provocation, parce que la précarité est encore là, malheureusement. Et cela cause des tensions sociales en permanence. » « Si jusque-là notre pays a tenu et a résisté à toutes les tempêtes, c’est grâce à la Révolution algérienne, mais tant va la cruche à l’eau qu’elle finit par se casser. » « Et je parle d’individus qui n’ont rien à voir avec les institutions de l’Etat. Je parle d’un homme ou de quelques hommes d’affaires. A ceux-là, il faut ajouter la clientèle politique. Il y a des ministres probes, qui ont de la compétence qui ont le patriotisme, des hommes et des femmes d’Etat qui savent comment se comporter et agir, qui préservent le patrimoine public, mais vous avez à côté d’autres ministres qui servent des intérêts privés, des intérêts de cliques. » « Nous sommes dans une situation à l’ukrainienne, à la russe, c’est-à-dire qu’une oligarchie émerge, composée de personnes qui accaparent des pans entiers de l’économie nationale avec l’ambition de faire main basse sur toute l’économie et qui cherchent à s’approprier les centres de décision politique à tous les niveaux. »
Qui sont les prédateurs ?
« Les ambitions personnelles et les appétits des prédateurs ont primé, chez certains responsables, sur les intérêts de la nation. Et ceux-là mêmes jettent en pâture le ministre de l’Energie et le Premier ministre qui ont traduit la position souveraine de l’Etat. » « Ainsi, le ministre de la Communication passe son temps à se gargariser de discours sur l’éthique et la déontologie, or la télévision nationale ainsi que la radio n’ont pas joué leur rôle de service public, d’explication et de clarification sur le gaz de schiste par exemple pour apaiser les citoyens, leur présenter les arguments scientifiques et politiques. » « Quand le président du FCE (Forum des Chefs d’Entreprises, ndlr) fait une campagne électorale — c’est son droit le plus absolu — et qu’il convoque des ministres pour la clôture de la campagne, et que des ministres s’y rendent pour faire acte d’allégeance, là ça devient grave. Parce que, probablement, pour ces gens-là, c’est cet homme qui nomme et qui enlève les ministres. En tout cas, c’est cela qui circule partout, surtout depuis la dernière élection présidentielle. » « En vérité, si la justice était indépendante, bien des têtes tomberaient pour des crimes économiques récents et en cours, à commencer par le pillage du foncier dit industriel par dizaines de milliers d’hectares, rénovés par l’Etat à coups de milliards de dinars au profit de quelques personnes sous le couvert d’investissement privé. » « On n’a jamais vu cela : le président d’une organisation patronale qui fait la tournée des ministères où il donne des orientations ! Il annonce l’ouverture de tous les secteurs, y compris l’énergie. Cela veut dire que l’article 17 de la Constitution doit être abrogé ou au moins violé. »
Ils veulent tout privatiser.
« Les télécommunications, les chemins de fer, les banques, le sous-sol et le sol, l’espace aérien et maritime font partie de la propriété de la collectivité nationale, ce qui veut dire qu’ils sont inaliénables, mais ce monsieur annonce leur ouverture et des ministres acquiescent ! De qui se moque le ministre des Transports quand il prétend que l’ouverture profitera au seul privé algérien ? » « Pourquoi acheter 15 avions et 25 bateaux si l’espace aérien et maritime est ouvert à la pseudo-concurrence ? A moins qu’on veuille les offrir sous couvert de partenariat public/privé, la nouvelle recette pour le bradage du secteur public ! Et puis, comment interdire aux compagnies européennes d’intervenir dans le transport intérieur, le fret, etc., une fois ouverts alors qu’il y a l’accord anti-national d’association avec l’Union européenne ? Pourquoi délester Air Algérie et Tassili du transport national, les affaiblir au profit d’un secteur privé jusque-là inconnu dans le domaine ? A moins qu’il s’agisse de la personne qui a paralysé un appareil d’Air Algérie à Bruxelles ! Le ministre ferait mieux de méditer les dégâts de la privatisation dans le transport maritime (CNAN Group) avec pour conséquence 7 bateaux algériens bloqués à l’étranger depuis 10 ans environ. » « Un patron qui s’immisce dans les affaires des deux Chambres du Parlement orientant le vote des députés en faveur du privé, c’est exactement la définition de l’oligarchie. Cette dérive doit être stoppée. En ce qui nous concerne, nous ne nous adapterons jamais à cette dérive, car d’évidence, on veut la rendre «normale» par un matraquage médiatique incessant. » « En Algérie, nous assistons au même processus suscité de l’intérieur même des institutions. Il y a celui qui veut devenir ministre au service des affaires de l’extérieur, celui qui veut accaparer l’économie nationale pas pour la développer, mais en rapport avec les convoitises d’une clique et qui se comporte en chef d’Etat parallèle... Le chef de l’Etat doit mettre le holà, il est comptable et responsable devant la nation. »
Les ministres patriotes, intègres et les autres…
« Dans ce gouvernement, il y a des ministres patriotes, intègres, qui préservent le patrimoine public, donc qui refusent de livrer leurs secteurs au pillage au profit de quelques individus. M. Yousfi (Ministre de l’Energie, ndlr) compte parmi cette catégorie. Il ne fait pas partie des prédateurs qui veulent se partager le pays. Il ne cède pas devant le chantage des multinationales qui veulent accaparer nos richesses. Bien sûr, il n’agit pas seul, mais dans le cadre des orientations du Président et en accord avec le Premier ministre. » « Il respecte les lois de la République, de ce fait, il constitue une entrave devant ceux qui veulent investir le secteur des hydrocarbures, pour avoir des marchés de gré à gré et non pas investir dans le secteur. Tout le monde comprendra de qui je parle. On a d’abord tenté d’assombrir son image par des contre-vérités concernant la production pétrolière et la prospection. Or, les chiffres apportent un démenti cinglant à cette cabale. Après, les évènements d’In Salah ont été mis à profit pour l’accabler comme s’il avait décidé, seul, de présenter la loi sur les hydrocarbures de janvier 2013 ou de commencer la prospection. »
A propos du gaz de schiste.
« Le PT a voté en faveur de la loi portant exploitation de cette richesse nationale en janvier 2013. Des ressources en hydrocarbures conventionnels se tarissent, il est donc vital de chercher des énergies alternatives. Nous disposons de gaz de schiste sur l’ensemble du territoire national et non pas dans le Sud uniquement et notre pays est classé en troisième position en termes de réserves. C’est une richesse qu’on ne peut ni négliger ni abandonner. » Les politiciens qui exploitent les craintes. « Je pense que le mouvement a mué depuis et n’a plus vraiment de rapport avec le gaz de schiste.(Allusion à la journée du 24 février organisée par le CNLTD, ndlr) S’il est normal que des inquiétudes, voire des oppositions puissent s’exprimer face à quelque chose de nouveau, il est clair qu’il y a une volonté d’empêcher un dénouement positif de la part de certains acteurs pas uniquement à In Salah, car ce dossier a fait tomber bien des masques. l’Etat est en train d’explorer toutes les énergies, le solaire, l’éolien et bien sûr le gaz de schiste puisqu’il est disponible. » Manipulés par l’extérieur ? « Je n’ai jamais parlé de main étrangère concernant In Salah, même si je sais que beaucoup d’associations de défense de l’environnement dans le monde sont en vérité financées par des multinationales. Celui qui paie contrôle. Les ONG ne sont pas neutres ni indépendantes. On nous parle de 80 ONG qui soutiennent la contestation d’In Salah. » « Je me pose la question : comment une ONG britannique qui ne milite pas contre l’exploration du gaz de schiste à 50 km de Londres, le fait à In Salah ? Idem pour une association américaine — qui s’appelle «Sun» comme «Chems» en Algérie — dont on ne connaît pas d’exploit contre le schiste aux USA. » « Bien sûr qu’il y a des militants sincères qui sont inquiets, mais d’autres qui servent des desseins particuliers. Si une association est financée par Petrofac, une multinationale britannique, je suis en droit de me poser des questions. Lorsque j’ai la preuve qu’une ambassade finance une association, je m’interroge. La population d’In Salah n’a rien à voir avec cela, mais elle est mise dans une situation infernale. » « Il faut savoir raison garder. Nous avons besoin d’exploiter le gaz de schiste. Il nous assure la sécurité et l’indépendance énergétique, à moins que certains veuillent que l’on perde cette indépendance. »
A propos de Charlie-Hebdo.
« L’année commence dans la tourmente pour tous les peuples de la terre depuis l’atroce attentat terroriste qui a ciblé Charlie Hebdo dans lequel sont mort des Français et un Algérien. Comme quoi le terrorisme ne fait pas dans la distinction des races ou des religions, il tue des musulmans, des chrétiens, en Syrie et en Irak, et n’oublions pas le terrorisme de l’entité sioniste. » « Le terrorisme sert les intérêts des grandes puissances. L’attentat contre ce journal et celui de l’hypermarché casher ont servi Obama, Hollande, Merkel, Cameron, Netanyahu et leurs supplétifs. Il y a eu instrumentalisation de ces actes barbares pour sceller une union internationale de ces gouvernements pour déclarer la guerre aux peuples et aux nations, notamment les musulmans, les travailleurs et les syndicats. » « Des pressions terribles sont exercées sur les consciences via les médias. Nous assistons à un tournant à l’échelle mondiale qui annonce des lendemains des plus incertains sur tous les continents. Cependant, nous ne pouvons que compatir avec les familles des victimes et nous comprenons l’émotion des Françaises et des Français et de tous les citoyens qui sont sortis pour manifester leur compassion et leur colère sur tous les continents. » « Par-delà le contenu des caricatures, il est hors de question qu’on justifie, sous quelque prétexte que ce soit, ces odieux attentats. Rien ne peut justifier la barbarie. Daech c’est la barbarie, les attentats à Paris c’est de la barbarie tout comme les autres attentats, à Nairobi, au Nigeria où sévit Boko Haram. Mais j’observe que les gouvernements occidentaux ne s’en préoccupent pas beaucoup, eux qui portent la responsabilité de l’horreur en Irak et en Syrie où des brigades de la mort viennent de partout, essentiellement d’Europe, pour massacrer et détruire. »
Les salafistes relèvent-ils la tête ?
« Les illuminés il y en a partout, dans notre pays, en France, aux USA et ailleurs, qui disent des horreurs sur les plateaux de télévision. C’est sûr qu’il y a nécessité de mettre de l’ordre dans les médias. Je ne dis pas qu’il faut censurer, jamais. Mais un appel au meurtre c’est sanctionné par la loi et la justice doit s’autosaisir. Il faut consacrer la démocratie et les libertés parce que à ce moment-là, les voix obscurantistes et réactionnaires on ne les entendra plus ». « Elles seront couvertes par les voix du progrès, de l’universalisme, de la fraternité entre les peuples qui prendront le dessus, parce que majoritaires. Il faut mettre de l’ordre dans les médias privés, mais aussi dans le secteur public. Une télévision publique où il n y a plus aucun débat politique, c’est une régression grave alors que dans les pires moments du terrorisme, la télévision publique organisait des débats sur les questions sensibles et cela avait été très positif. Aujourd’hui, ce service public est devenu morbide, mort, aucun débat politique. En revanche, une très grande publicité est faite par les télé et radios publiques pour le milieu des affaires. »
Les dangers aux frontières.
« Tout le pourtour de l’Algérie est en flammes. Nous sommes entourés de volcans, mais en même temps, l’Algérie a pu vaincre le terrorisme sans ingérence. » « C’est une aberration de dire qu’il faut reporter la démocratie parce qu’il y a des dangers. S’il y a un moyen efficace pour éloigner les dangers extérieurs, pour immuniser le pays, c’est précisément de redonner la parole au peuple et qu’il exerce pleinement sa souveraineté. La démocratie est une condition pour immuniser le pays. Nous n’avons eu de cesse de le marteler. » « Il y a la responsabilité de l’Etat, celle de l’armée et des services de sécurité quant à la protection du pays, mais cela ne saurait immuniser le pays s’il n’y a pas l’adhésion et la mobilisation populaire» « On ne peut pas prétendre défendre la souveraineté nationale, nous prémunir des ingérences et en même temps ne pas reconnaître le droit au peuple algérien d’exercer sa souveraineté pleine et entière. La IIe République c’est le parachèvement des objectifs de la Révolution algérienne, à savoir l’édification de l’Etat, des citoyens égaux en droits et en devoirs, un Etat démocratique souverain, avec toute la plénitude des prérogatives de souveraineté. » « En Libye, les événements s’accélèrent avec l’intervention militaire égyptienne suite à l’assassinat de ses ressortissants. Quelle analyse faites-vous de ce qui ce passe dans ce pays voisin ? » « Le président égyptien a, lui aussi, mis a profit l’horrible massacre de 21 coptes perpétré par une branche de l’EI à Derna, en Libye, pour y intervenir militairement. Et il est très significatif que cela intervienne juste après l’acquisition de 24 avions Rafale et autres équipements militaires lourds et que Hollande soit le premier à le soutenir dans son aventure guerrière. » « Bien sûr, la barbarie terroriste, une excroissance du système capitaliste déjà moribond, est un danger pour l’humanité mais il est établi que les interventions militaires étrangères constituent le vivier dans lequel elle prospère et se perpétue. Alors, l’intervention militaire égyptienne ne sert que les coalisés fauteurs de guerre et de terrorisme dont ils portent la responsabilité. » « Par ailleurs, les convoitises égyptiennes ciblant une partie des territoires libyens, riches en pétrole, ne sont un secret pour personne. Dans le même temps, ce sont tous les pays d’Afrique du Nord qui sont menacés par les impacts directs du chaos dislocateur que l’intervention égyptienne accélérera en Libye. Alors, oui, l’intervention militaire égyptienne en Libye vise à torpiller directement, au compte des grandes puissances, les efforts de l’Etat algérien pour aider les Libyens à trouver une solution politique qui préserve leur unité et donc la région. »
Hacen Ouali