René Vautier l’Africain, l’homme de paix
Mohamed Bensalah
Donné trois fois pour mort, longtemps embastillé, censuré, véritable martyr de la liberté d’expression, l’homme à la longue crinière blanche, qui a tissé des liens très forts et indéfectibles avec l’Afrique en général et avec l’Algérie en particulier, où il est considéré aujourd’hui non seulement comme un véritable moudjahid, mais aussi comme l’un des pères fondateurs du cinéma national, est toujours resté fidèle à ses engagements et à ses principes. Comment rendre compte d’une existence aussi riche, de 65 années consacrées au service des grandes causes en quelques lignes? Véritable baroudeur de la paix, l’homme qui, dit-on, a une caméra dans la tête (au propre comme au figuré) René Vautier est un simple fils d’ouvrier, dont la mère était institutrice en France à Camaret sur mer dans le Finistère. Entré en résistance dès l’âge de 15 ans, il fut l’année suivante décoré de la Croix de guerre par le général De Gaulle en personne. Son courage et sa témérité vont très vite le projeter au devant de ce qui allait le révéler à luimême et aussi aux autres. Premier sur tous les théâtres des événements, le « petit Breton à la caméra rouge » s’était donc retrouvé au coeur des bouleversements décisifs qui tissent inexorablement le destin des hommes. Figure de proue de tous les combats contre l’oppression des peuples, René Vautier qui a aussi rendu compte des luttes syndicales, a vécu, tel un héros de Malraux, n’éprouvant sa condition humaine que dans l’action au bout de laquelle il rejoint sa destinée. « J’ai passé toute ma vie à faire du cinéma dans un secteur que j’avais choisi, celui où l’on ne risquait pas beaucoup de concurrence ». L’aveu est, on ne peut plus clair. Le cinéaste qui a fait débuter Claudia Cardinale et Jean Paul Belmondo au cinéma, et qui a réussi une impressionnante carrière cinématographique, Avec Afrique 501, le premier film anticolonial mondial, Vautier avait obtenu le prix du meilleur documentaire mondial des jeunes, et fut cité pour le jury du prix Louis Lumière parmi les trois meilleurs courts métrages de l’année 1951. Le Grand prix de la télévision, décerné par la SCAM en 1998, ne l’a pas mis à l’abri des menaces. Après une interdiction de près d’un demi-siècle, le ministère des Affaires étrangères français tire Afrique 50 des oubliettes de l’histoire pour s’en servir comme témoignage du sentiment Anticolonialiste de la France ! Fidèle comme un « Breton têtu » à ses engagements politiques et syndicaux, il n’a cure de la consécration médiatique qui arrive avec Avoir 20 ans dans les Aurès, distingué à Cannes en 1972 et des autres distinctions, hommages et récompenses qui suivront. Être cinéaste, pour le militant des Droits de l’homme qui n’a jamais failli à sa mission, c’est « mettre l’image et le son à la disposition des gens à qui les pouvoirs constitués les refusent ». En quête de causes justes, caméra au poing, l’homme qui n’a pas hésité à observer une grève de la faim de 31 jours, pour s’opposer à la censure de films2 va tourner des kilomètres de pellicule pour hurler son refus du colonialisme, son rejet du racisme et son opposition à l’exploitation et à l’oppression de l’homme. Les foudres des autorités ne l’épargneront pas. On cherchera à le museler en bloquant ses films, en l’empêchant de s’exprimer et de s’expliquer. Il sera harcelé, menacé physiquement toute sa vie durant. Pour avoir déclaré, dès 1954, que l’Algérie ne pouvait qu’être indépendante, René Vautier a été poursuivi pour atteinte à la sûreté de l’Etat par les milices de François Mitterrand « le socialiste ». Le local qui abritait ses films fut saccagé et ses copies détruites à la hache, puis arrosées au mazout. Animé par un désir irrépressible de filmer, «L’homme de paix » n’a pas encore déposé sa caméra citoyenne3. Ceux qui ont eu le plaisir de l’approcher, de le connaître et de l’apprécier, mesurent parfaitement la portée de ce qui se joue lorsque passion et existence sont engagées. Après avoir filmé les grèves en France, l’Afrique colonisée et la Tunisie sous le protectorat, c’est vers les Aurès algériens qu’il tournera dès 1956 sa caméra. Son premier film « Algérie en flammes » réalisé en 1957 avec l’aval de Abane Ramdane et tiré à 800 copies et en 17 langues, constitue le premier grand témoignage de la lutte contre la colonisation. Recherché en France, considéré comme mort, on le retrouve mis au secret durant vingt cinq mois dans les geôles du GPRA à Tunis, suspecté d’être un agent de la France. Sorti avec les honneurs de la prison, il poursuivra son combat dans les maquis algériens sans rancoeur aucune et jusqu’à l’indépendance du pays. Il s’investira alors dans la mise en place des ciné-pops, pour mettre à la disposition des jeunes ses connaissances cinématographiques. Il dirigera la réalisation de plusieurs films dont « Peuple en marche » et participera à, l’écriture du scénario des « Damnés de la terre » de Franz Fanon. Comment oublier l’infatigable militant celte, surnommé Farid dans les maquis algériens, qui se consacra entier à son devoir de militant et de cinéaste humaniste ?