DE L’EMOTION A LA REFLEXION
Je ne regrette pas d’avoir soutenu les rassemblements qui, à l’initiative des amis de Charlie Hebdo, ont exprimé notre colère, notre dégoût des assassinats odieux de ces derniers jours. Malgré les récupérations et la présence indigne à Paris de quelques chefs d’Etat qui ont eux-mêmes du sang sur les mains (et qui étaient invités par François Hollande). Je ne le regrette pas car rien, rien ne peut excuser ces exécutions. C’étaient la liberté, la démocratie qui étaient en ligne de mire. Ce sont elles qui sont menacées et nous ne l’accepterons jamais. Et parce que je ne voulais pas que mes paroles puissent apparaître comme dédouanant les meurtriers, je me suis abstenu de formuler quelques-unes de mes interrogations. Aujourd’hui, par-delà la légitime émotion et parce que la condamnation de ces actes est claire désormais, nous devons nous interroger. Comment de jeunes femmes, de jeunes hommes qui vivent en France, peuvent-ils devenir des tueurs et accepter de mourir en « martyrs » ? Nul ne porte le meurtre dans ses gènes. Ils ont été endoctrinés, fanatisés, me dit-on ? Ne doit-on pas se poser la question : pourquoi le fanatisme – quels qu’en soient les motivations et le vecteur, politique ou religieux – a-t-il trouvé chez eux un terrain favorable ? Il est trop facile à mon avis d’en chercher les raisons dans une éventuelle faiblesse de la personnalité ou dans un manque d’éducation. Cela peut exister, mais l’on sait que certains sont instruits et leur choix de mourir en « martyr » témoigne d’autre chose. Ne doit-on pas s’interroger : qu’est-ce qui peut avoir chez certains suscité une telle haine ou les avoir convaincus d’une mission supérieure qui justifierait la mort de « l’autre » et leur propre mort ? Ne doit-on pas s’interroger sur la façon dont peut être vécue la prétention de l’Etat français de porter la guerre donc la mort dans des pays qui se sont affranchis de la domination coloniale et qui sont pour la plupart de confession musulmane ? Prétention d’autant plus intolérable quand on est un jeune vivant en France dans des conditions précaires en raison de la politique de cet Etat, alors qu’il y a tant de richesses ; avec le sentiment de ne pas avoir d’avenir ; souvent regardé de haut, voire avec mépris quand on est d’une famille venue d’ailleurs et soumis à une perpétuelle suspicion si l’on est musulman ? Ne devons-nous pas nous interroger sur le dévoiement de la belle idée de laïcité en son contraire l’anti religion qui impose aux croyants de cacher leur foi, de pratiquer leur religion dans des caves, alors que la laïcité à la française c’est la tolérance, l‘échange, l’enrichissement mutuel. Mesure-t-on les frustrations, les déchirures que cela provoque ? L’histoire nous enseigne que les régimes qui se sont attaqués aux religions, souvent sous le prétexte de « désaliéner l’homme », ont tous échoué et suscité des situations extrêmes. La liberté d’expression doit être préservée, à tout prix, car sans elle il n’est pas d’échanges fructueux. Cela n’implique-t-il pas un sens des responsabilités dans notre expression ? Ne devons-nous pas éviter de blesser ? Réfléchissons- y au lieu de nous engager dans une spirale de la répression qui ne résoudra rien comme l’a démontré le Patriot Act aux USA après le 11 septembre 2001.
TOUT LE MONDE IL EST BEAU, TOUT LE MONDE IL EST GENTIL
L’élan du peuple de France pour défendre la liberté d’expression est précieux. Pour autant nous ne devons pas faire preuve d’angélisme. Les motivations de celles et de ceux qui ont participé aux rassemblements sont diverses et l’on ne peut exclure un vieux fond inavoué chez certains de racisme anti arabe et d’islamophobie. Certes et c’est un acquis important, nous avons réussi à isoler le parti xénophobe et raciste de la famille Le Pen (J’ai toutefois personnellement honte qu’elle ait pu rassembler un millier de personnes à Beaucaire dans ce canton dont j’ai été pendant 19 ans le conseiller général. Ceux qui par sectarisme ont permis l’élection d’un maire FN dans cette ville aux dernières municipales doivent se sentir mal à l’aise…), mais ne nous le cachons pas nous avons encore beaucoup à faire pour nous débarrasser complètement de la malfaisance du racisme.
Bernard DESCHAMPS 12/01/2015